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ENDÔ Shûsaku
(Tokyo 27/03/1923 - Tokyo 29/09/1996)
Endô Shûsaku est le fils d'une Japonaise
catholique. Très jeune, ses parents l'emmènent en Mandchourie. Ils divorcent en 1933, et
le petit Shûsaku repart avec sa mère à Kobe.
Il est baptisé en 1935. Son appartenance
à cette religion est très importante pour son oeuvre (il y a un prêtre ou un personnage
catholique dans presque toutes ses histoires). Il faut bien voir qu'être catholique dans
les années 30-40 au Japon n'était pas très bien perçu.
Après des études à l'Université Keio, il part étudier à Lyon en 1950 où il étudie
le roman catholique français (Bernanos, Claudel, Mauriac...). Mais après trois ans, il
tombe gravement malade (problème aux poumons) et doit interrompre ses études. Il rentre
au Japon, où il reste alité pendant un an. C'est à cette occasion qu'il écrira ses
premiers textes. Il aura de graves maladies tout au long de sa vie (il est encore
hospitalisé longuement en 1960), d'où un autre thème récurrent dans son oeuvre : les
hôpitaux, la maladie. Plusieurs interrogations traversent son oeuvre et lui donnent une
grande homogénéité (en tout cas dans les livres traduits en français et que j'ai lus, car il a également écrit des livres plus humoristiques) :
- Il cherche à comprendre comment peuvent cohabiter dans un même être le bien et le
mal, comment quelqu'un de bon peut également prendre du plaisir dans le mal. Dans sa
recherche des causes du mal, il évoquera à plusieurs reprises le rôle du Japon dans la
Seconde Guerre Mondiale et les horreurs commises par des Japonais ordinaires sur le
continent.
- Il se pose des questions liées au christianisme : y a-t-il une place pour le
christianisme au Japon ? que vaut la foi face à la menace de la douleur physique ? un
croyant lâche sera-t-il damné ?
Il y a parfois quelque chose de dostoïevskien chez Endô - d'ailleurs cet auteur est
cité dans la nouvelle Un homme de soixante ans (dans Une Femme nommée Shizu) :
l'auto-dénigrement, le double maléfique...
L'homogénéité d'une grande partie de son oeuvre (surtout celle traduite en français) fait que si on accroche à un de ses livres, on peut lire
les autres en confiance. L'inconvénient est qu'il a parfois tendance à se répéter :
les anecdotes développées pendant vingt ou trente pages dans ses nouvelles se retrouvent
très fréquemment dans ses romans - où elles occupent moins de place, mais servent de
substrat pour le développement de l'histoire. Mais chez certains écrivains, les nouvelles sont le "laboratoire" d'où sortent les romans.
Prix Akutagawa en 1955 pour l'Homme Blanc.
- Volcano (1959,
disponible chez 10/18, 218 pages, traduit de l'anglais par Ariel Marinie). Un mauvais point
pour ce livre dans sa version française : le fait qu'il soit traduit de l'anglais, comme
cela se faisait beaucoup à une époque. On y perd, et on sent des maladresses (par
exemple, on lit page 11: " [...]" : pourquoi cette précision quant à la nature des
caractères ? on se doute bien que ce ne sont pas des caractères égyptiens).
(ceci dit, la traductrice, Ariel Marinie, a donné la précision suivante : ".
Il me semble que Mishima avait lui aussi donné ce type de recommandations à une époque. Lorsqu'il était certain que la traduction anglaise était bonne, il préférait ainsi minimiser les risques...)
Quant à l'histoire, elle tourne autour d'un prêtre, le père Sato, qui cherche à faire
construire un lieu de retraite spirituelle sur les flancs d'un volcan ; d'un prêtre
français défroqué, Durand ; de Jimpei Suda, chef du Bureau météorologique
fraîchement retraité et qui a consacré une grande partie de sa vie à étudier le
volcan, sa thèse étant qu'il est définitivement assoupi, mort en quelque sorte.
Volcano
est un roman en creux sur l'Amour et la Compassion, car cet Amour, on ne le trouve nulle
part. Suda se rend compte que personne ne l'aime, que sa théorie sur le Volcan risque
fort de se révéler foireuse, et que ce n'est pas le volcan qui se meurt, mais bien
lui-même. Sato, lui, se force à donner l'apparence de l'amour, notamment envers Durand.
Ce dernier n'est pas dupe et méprise les apparences de la charité quand celle-ci n'est
pas sincère.
Durand est parfois dostoïevskien dans son comportement : ainsi, on peut
lire, page 158 : "".
Peu, voire pas de personnages attachants dans ce roman...
- Douleurs Exquises (dix
nouvelles écrites de 1965 à 1979, disponible dans Le Livre de Poche, collection Biblio,
185 pages, traduit du japonais par Catherine Ancelot) et :
- Une Femme nommée Shizu (dix nouvelles écrites de 1959 à 1985,
disponible chez Folio, 274 pages, traduit du japonais par Minh Nguyen Mordvinoff).
Ces
deux recueils de nouvelles permettent d'entrer dans l'univers de Endô Shûsaku :
hôpitaux, histoire du chien-confident abandonné en Chine, oiseau de compagnie dans un
hôpital qui meurt "à la place" d'un patient pendant une très grave opération
- ce qui apparemment est vraiment arrivé à l'auteur -, histoires de martyres Japonais
(avec des faibles, ceux qui abjurent leur foi devant la crainte des tortures ; il faut
dire que les volcans, pas loin, étaient bien pratiques pour se débarrasser
"proprement" des récalcitrants...), catholiques doutant de l'authenticité de
leur foi, interrogations pathétiques au seuil de la vieillesse.
Globalement, j'ai
préféré Douleurs Exquises à Une Femme nommée Shizu.
- Scandale (1986, disponible dans Le Livre de Poche, 283 pages, traduit du japonais par Catherine
Ancelot).
Suguro, un romancier catholique bien installé - et visiblement le double de
Endô -, ayant du succès et un lectorat fidèle, glose sur la nature du Bien et du Mal
lors de conférences et à la télévision.
Il en a fait le thème principal de ses romans
: selon lui, les péchés commis sont toujours une façon de résoudre une contradiction
pour trouver un nouveau départ. Mais il est vu dans les quartiers de plaisirs, dans des
peep-shows, ou bien sortant d'hôtels spécialisés dans les activités sado-maso, etc.
Est-ce vraiment lui, ou bien un sosie ?
Un journaliste, que le côté moralisateur de
Suguro exaspère au plus haut point, veut faire éclater le scandale en prouvant qu'il
s'agit vraiment de l'écrivain. Suguro, enquêtant également, sera amené à croiser toute
une galerie de personnages intéressants et pas très simples psychologiquement parlant
(l'infirmière bénévole qui se dévoue le jour et qui s'adonne à des actes sado-maso la
nuit - encore que tout n'est pas aussi simple, parce que ce qui est perçu comme du
dévouement est en fait de sa part une façon de s'avilir, et visiblement elle aime ça).
Suguro va être amené à se poser des questions sur sa vie, sa femme, ses motivations
profondes, pourquoi le Mal peut être une tentation pour des gens apparemment normaux. On
notera que l'on retrouve le personnage de l'infirmière dans Le Fleuve Sacré.
Il y a quelque chose de fascinant dans ce roman crépusculaire, l'auteur se livrant à une
sorte d'incroyable strip-tease masochiste ; il se remet brutalement en cause sur le tard :
se serait-il fourvoyé depuis tant d'années ? le christianisme l'aurait-il empêché de
voir ce qu'est vraiment l'homme, dans toute sa noirceur ? n'aurait-il pas été hypocrite
tout au long de sa vie ?
Très bon livre.
- Le Fleuve Sacré
(1994, disponible chez Folio, 329 pages, traduit par Minh Nguyen Mordvinoff).
Pour ceux
qui sont sensibles au mauvais usage des virgules, il se peut que cette traduction soit
parfois un peu éprouvante (un exemple parmi d'autres, trouvé page 135 : "Tsukada,
était le genre d'homme [...]." : que vient faire la virgule entre le sujet et le
verbe ?
Le Fleuve Sacré, c'est le Gange. On suit un groupe de touristes japonais partis visiter
l'Inde, chacun pour une raison qui n'est pas à proprement parler touristique (exception
faite - et encore - du couple en lune de miel) : un veuf recherche la réincarnation de sa
femme (qui montre sans doute l'intérêt d'Endo pour la vie après la mort), un autre homme est
hanté par un terrible souvenir de guerre (le même que dans Le Dernier Souper,
nouvelle du recueil Une Femme Nommée Shizu), une femme plus ou moins à la
recherche d'un ancien amant, devenu prêtre anti-conformiste aidant les intouchables, etc.
Le début ressemble à un ensemble de nouvelles présentant les personnes principaux, puis
on aborde le voyage en Inde à proprement parler pendant lequel les personnages sont
approfondis à grands coups de flash-backs. On retrouve les éléments habituels de
l'auteur (le chien-confident abandonné en Chine, l'oiseau à l'hôpital qui meurt
"à la place" d'un malade pendant une opération, etc.
Donc, rien de très
surprenant, on est en terrain connu. La première moitié du roman, surtout, ressemble à
un empilement de nouvelles déjà lues (dans Douleurs Exquises ou Une Femme
nommée Shizu).
Pas mauvais, ce roman - son dernier - n'apporte néanmoins pas grand
chose de neuf dans son oeuvre. Par contre, pour ceux qui n'ont rien lu de Endô Shûsaku,
ce livre peut être intéressant dans la mesure où il est très synthétique.
Adapté au cinéma par Kumai Ken avec Mifune Toshiro (voir plus bas).
- Silence (Chinmoku). Prix Tanizaki 1966 (qui aurait pu être mentionné, par exemple en quatrième de couverture). Traduit de l'anglais par Henriette Guex-Rolle, folio. 297 pages.
Nous sommes au XVII° siècle.
L'avant-propos de l'auteur commence ainsi :
"" (page 9).
Il est "" (page 9).
Les persécutions ont commencé en 1587, avec une série de crucifixions. "" (page 10).
Tous les missionnaires sont expulsés en 1614... tous, sauf trente-sept prêtres (dont Ferreira) qui restèrent cachés.
Feirreira a-t-il abjuré ?
"" (page 14).
C'est quasiment une mission-suicide... "" (page 15). Le feu vert, qui n'existait pas encore à cette époque, est néanmoins donné à cette mission.
Le livre relate, essentiellement à travers des lettres envoyées par Sébastien Rodrigues, qui est le personnage principal, leurs aventures, comment ils vont entrer au Japon, les épreuves qu'ils auront à y subir, comment les chrétiens japonais se sont organisés pour continuer à vivre leur foi le plus discrètement possible.
"" (page 58).
Le Japon sera totalement fermé en 1640.
C'est un excellent roman (et un des plus connus de l'auteur) qui pose de nombreuses questions sur la nature de la foi, sur ce que l'on est prêt à faire ou pas pour elle... Faut-il/peut-on abjurer pour sauver sa vie et, par la suite, se racheter ? Et pour sauver une autre vie que la sienne ? (problème déjà posé, je crois et entre autres, par Dostoïevski dans Les Frères Karamazov).
"" (page 98).
Abjurer ne signifie pas, bien sûr, ne plus croire...
Et quelle attitude adopter face aux plus faibles ? "" (page 117).
Mais un autre problème se pose, plus grave, et qui donne son titre au livre :
"" (page 96-97).
La traduction de l'anglais n'est pas visible, exception faite d'un "minimaliser" au lieu de "minimiser" (page 232).
On attend (depuis plus de dix ans) une adaptation - une nouvelle, en fait, car il y a déjà eu une version en 1971, réalisée par Shinoda Masahiro - de ce roman par Martin Scorsese, avec peut-être dans les rôles principaux Daniel Day-Lewis, Benicio Del Toro et Gael Garcia Bernal. Ce sont d'excellents acteurs, rien à dire à leur sujet, néanmoins la distribution manque un peu de Portugais. Mais qu'y faire ? Le Portugal manque de stars internationales.
Le pire, c'est que le film devrait être tourné en anglais. Attendons de voir (si je puis dire), le résultat, quand Gael Garcia Bernal, qui est Mexicain, prendra un accent portugais pour parler anglais ou japonais...
Mais, finalement, le film se fera-t-il ? (le tournage devait avoir lieu en Nouvelle Zélande fin 2009).
En février 2010, Scorsese disait (voir http://sotinel.blog.lemonde.fr/2010/02/08/lemploi-du-temps-de-martin-scorsese-par-lui-meme-hugo-cabret-puis-de-niro:
"Tout était prêt pour Silence, mais le film a été décalé, pour être tourné juste après ce projet." (ce projet, c'est l'adaptation d’un livre de Brian Selznick, L’Invention d’Hugo Cabret ; sortie prévue en 2011).
Ce serait quand même une bonne chose, ne serait-ce que pour remettre un peu en lumière chez nous l'oeuvre de Shûsaku Endô.
Autres livres disponibles
en Français :
- La Mer et le Poison (1957)
- Un Admirable Idiot (1959)
- La Fille que j'ai abandonnée (1964)
- L'extraordinaire voyage du Samouraï Hasekura (1980)
- En Sifflotant (1980)
Films d'après son oeuvre :
- La Jeunesse du Japon/Pavanne pour un homme épuisé (Nihon no seishun, 1968), réalisé par Kobayashi Masaki (connu notamment pour Harakiri (Seppuku) et le très beau Kwaidan (Kaidan), d'après Lafcadio Hearn, prix spécial du jury à Cannes en 1965).
- La Fille que j'ai abandonnée (Watashi ga Suteta Onna, 1969) de Urayama Kiriro.
- Silence (Chimoku, 1971), de Shinoda Masahiro. Musique de Toru Takemitsu.
- Saraba natsuno hikariyo (en anglais "Farewell, O Summer's Light", 1976) de Yamane Shigeyuki. Blue Ribbon Award du meilleur metteur en scène et de la meilleure actrice pour Akiyoshi Kumiko.
- Mayonaka no shôtaijô (1981) réalisé par Nomura Yoshitaro.
- La Mer et le Poisson (Umi to dokuyaku, 1986), de Kumai Ken. Ours d'Argent Prix Spécial du Jury au Festival de Berlin Sorti aux Etats-Unis (1987), en Suède (1990), mais pas en France !
- Yojo no jidai (1988) de
Nagasaki Shunichi.
- Le Fleuve Sacré (Fukai Kawai, 1995), toujours de Kumai Ken, avec Mifune Toshiro dans
son dernier rôle! Prix du Jury Oecuménique du Festival des films du Monde de Montréal en 1995. La partie en Inde a été tournée à Bénarès. Kumai Ken n'est guère connu chez nous que pour La Mort
d'un Maître de Thé, film assez... exigeant. Pas sorti en France.
- La Fille que j'ai abandonnée (Aisuru, "To Love" en
anglais, 1997) de l'inévitable Kumai Ken. Pas de sortie prévue dans nos contrées... Il
faut croire que l'imagination n'est pas au pouvoir chez les distributeurs : quand on pense
que tous les films de Tsukamoto Shinya, le réalisateur japonais le plus sur-estimé du
moment chez nous, sont disponibles en DVD...
- Silence (2013 ?), réalisé par Martin Scorsese, avec Daniel Day-Lewis, Benicio Del Toro et Gael García Bernal.
On peut également entendre la voix de Endô Shûsaku dans le film d'animation Senya
ichiya monogatari (1969), de Yamamoto Eiichi, évidemment pas sorti chez nous (sauf
erreur de ma part). A noter que l'on y entend d'autres écrivains : Yoshiyuki Junnosuke et Tsutsui Yasutaka.
Anecdotes :
- On peut lire sur une page du site de David Bowie que Endô Shûsaku est son écrivain
japonais préféré...
- Son nom catholique était "Paul".
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