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MATAYOSHI Eiki
(1947-)

 

matayoshi eiki

 

Né à Okinawa, Matayoshi Eiki a étudié à l'Université de Ryuyku. Autant dire qu'il est resté dans l'archipel. Et il y vit actuellement.
Il a obtenu le Prix Akutagawa pour Buta no mukui en 1995.

histoire d'un squelette

- Histoire d'un squelette (Jinkotsu Tenjikan, 2002 ; Editions Philippe Picquier, 241 pages, roman traduit en 2006 par Patrick Honnoré).
Furugen Meitetsu est un jeune homme au chômage, anciennement enseignant de grammaire japonaise dans une boîte à bachot appartenant à un groupe privé de la métropole... Eh oui, nous sommes sur l'île d'Okinawa, qui possède son dialecte et sa culture...

Son père est mort de la tuberculose alors que Furugen n'était encore qu'en primaire. Peut-être est-ce à cause de cela, l'absence du père qui lui "aurait appris à ne pas te laisser embobiner par les autres" (page 24), que Meitetsu fait facilement confiance. Trop facilement, comme on le voit très vite.

L'histoire commence lorsque Meitetsu tombe sur l'article de la rubrique locale d'une Gazette : "Dix ans après le début de l'exploration archéologique du site, une trouvaille extraordinaire vient d'être exhumée dans les vestiges du gusk du village de Maehiro : le squelette d'une jeune femme datant du XIIè siècle. Il pourrait s'agit de la victime propitiatoire d'un sacrifice humain." (page 6).
Mais qu'est-ce qu'un gusk ? La réponse vient quelques lignes plus loin :
"Il arrive que des ossements humains soient découverts dans les gusk, ces châteaux en pierre dont il reste des vestiges dans de nombreuses localités de l'île, mais il s'agit toujours de squelettes d'enfants en bas âge, à ce qu'il crut se rappeler. Peut-être était-ce bien la première fois qu'on mettait au jour le squelette d'une femme adulte." (page 6).

Il y a ainsi plusieurs passages explicatifs, plus ou moins longs, par exemple : "Au XVIè siècle, le pouvoir politique des seigneurs des gusk reposait sur le pouvoir chamanique de leurs soeurs, les prêtresses noro ou onari-gami, qui leur faisaient établir des utaki, ou lieux naturels sacrés, afin d'y invoquer les dieux." (page 39)

On est donc dans un cadre doublement dépaysant : pour nous pauvres occidentaux, mais également pour les Japonais eux-mêmes. Il y a donc des explications qui valent pour les non okinawaïens, et d'autres qui nous sont destinées. Du coup, parfois, on ne sait pas exactement ce qu'il en est du texte original.
Exemple :
"« C'est toujours pareil avec toi, Meitetsu. Pas étonnant que certains te trouvent tourou-tourou (idiot) » "(page 24)
Est-ce que "(idiot)" figurait ainsi dans le texte original ? Mais au fond, qu'importe ? Le lecteur économise une interruption de sa lecture (aller-retour du regard vers une note en bas de page), c'est aussi bien, et il comprend bien que le terme tourou-tourou est dialectal.
Mais parfois, c'est plus problématique : "Moi, je voulais préparer des tempuras de légumes, mais je me suis trouvée à court de farine, alors je me suis dit que j'allais acheter à la ville voisine de ces gâteaux fourrés cuits à la vapeur qu'on appelle manju, mais voilà que la voiture a crevé... [...]" (page 43). Je suppose que l'explication de manju ne se trouvait pas dans le texte original, en tout cas la phrase ne fait pas très naturel.

Meitetsu va voir le squelette, et finit par être embauché comme gardien, vigile, etc. Il y a du travail, et pas grand monde pour le faire.
"Fonctionnaire typique, le chef ne savait absolument pas conduire les fouilles, et c'était en réalité Kotono qui dirigeait les travaux". Kotono est une jeune scientifique qui plaît bien à Meitetsu ("J'irais bien la renverser un coup..." pense-t-il à la page 55), et la réciproque est vraie.
En plus d'être assez direct, Meitetsu est un peu macho : "Confusément, Meitetsu se demanda si Kotono, encore jeune et frêle, n'était pas en train de passer à côté de son bonheur de femme pour ce squelette et sa passion de la recherche." (page 50). Ce genre de remarque était un peu la crainte du personnage féminin de Les Singes Bleus, de Ikezawa Natsuki.

Mais Sayoko va rapidement semer le trouble dans cette idylle naissante.
"- Qui est Sayoko ? demanda Meitetsu.
- La fille de Masanobu. Fille unique, trente ans, de retour au foyer paternel après un mariage raté.
" (page 47)
Quant à Masanobu, c'est le propriétaire d'une auberge située à proximité du lieu des fouilles. Lui et sa fille proclament que le squelette est celui d'une vestale, une ancêtre à eux et, même s'ils fournissent le chantier en nourriture, s'opposent aux scientifiques : c'est le classique "superstitions contre science".
"Quand je lui ai dit que c'était un objet de rechcrche d'une importance capitale, elle m'a répliqué que je devrais avoir honte de traiter les humains comme des objets de recherche", dit Kotono (page 47).
Entre les deux femmes, le torchon va brûler, comme aurait pu le dire Meitetsu.

Mais que cherche exactement à obtenir Sayoko de Meitetsu ? Ne serait-t-elle pas qu'une vile manipulatrice ?

Qui était la femme-squelette ? Une vestale ? Une victime propitiatoire ? Mais pourquoi l'aurait-on enterrée ? Et était-elle encore vivante lorsqu'elle a été mise sous terre ? D'où vient-elle vraiment ?

De nombreuses personnes cherchent à la "récupérer", pour différentes raisons, scientifiques, religieuses, familiales, économiques...

Beaucoup de questions donc, et d'incertitudes...

Ces incertitudes transparaissent à un moment, avec une quasi apparition du surnaturel, de forces chamaniques: géographie curieusement mouvante ("
Pourtant, d'après la direction d'où il venait, l'arbre aurait dû se trouver sur la gauche, pas à droite...", page 112 ; on est presque dans Conte de la Première Lune, de Hirano Keichirô), esprits ("Il s'assit au pied du flamboyant. Le vent de la mer autour de l'arbre lui parut avoir des intonations humaines", page 113), déesse trompeuse ("La déesse astique sans arrêt la pointe du cap avec son balai, afin que les hommes glissent et tombent plus facilement...", page 115 ; on trouvera une autre divinité facieuse dans Tio du Pacifique, de Ikezawa Natsuki).

A noter une scène qui rappelle Sonatine, le film de Kitano Takeshi. Cela se passe sur une plage et ce n'est pas du Kamizumo, mais du sumo d'Okinawa. "
Les deux adversaires libérèrent toute leur énergie, les quatre pieds creusaient le sable. Par moments, ils semblaient immobiles, par moments ils faisaient de violents mouvements. (page 175).


Un roman intéressant, au cadre original, peut-être un peu alourdi par ce qui fait toutefois le principal de son intérêt : les yuta, awamori, aji et autres gusk qui ne sont pas familiers au lecteur. D'une manière ou d'une autre, l'auteur - et le traducteur - doivent expliquer au lecteur de quoi il s'agit, au prix de passages parfois un peu didactiques. Et on imagine les problèmes qui ont dû se poser pour retranscrire en français les tournures de phrases, le parler local...
Une autre originalité - mais moins marquée - du roman réside dans le personnage de Meitetsu. Naïf serait un euphémisme pour parler de lui... Ils ne sont pas très nombreux, les romans dont le personnage principal est si ballot... Curieux livre, donc, à part.


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