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NAKAMURA Fuminori
(中村文則)

(Préfecture d'Aichi, 02/09/1977 -)

nakamura fuminori

"Né en 1977 dans la préfecture d'Aichi. Diplômé en sciences sociales appliquées de l’Université de Fukushima.
Débute en 2002 avec Jû (Revolver), couronné du prix Shinchôsha des jeunes auteurs. Reçoit en 2004 le Prix Noma des jeunes auteurs pour Shakô (Obscurcissement), puis, en 2005 le prix Akutagawa pour Tsuchi no naka no kodomo (L’enfant dans la terre). En 2010, il reçoit le prix Kenzaburo Oé pour Pickpocket. En se focalisant sur des personnages soit nés, soit poussés dans la pauvreté, Nakamura souligne d'une lumière très crue les aspects souvent négligés du Japon contemporain.
" ( source : http://www.editions-picquier.com/auteur/nakamura-fuminori/ )
Il a également reçu le Prix des Deux Magots Bunkamura 2016 pour Effacement du moi (Watashi no shometsu, 私の消滅).

 

pickpocket     pickpocket, couverture japonaise

Pickpocket (Suri, 掏摸, 2009). Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako. Editions Philippe Picquier. 2013. 190 pages.
Le titre est donc "Pickpocket" en français... et "The thief" (le voleur) en anglais. Le titre français est bien meilleur.

Le roman commence ainsi :
"Lorsque j’étais encore petit, il m’arrivait fréquemment de rater mon coup. Dans les magasins bondés ou chez des gens, je laissais souvent tomber ce dont je m’étais discrètement emparé. Entre mes doigts, le bien d’autrui devenait un corps étranger qui ne trouvait pas sa place. Comme si le contact qui n’aurait jamais dû s’établir m’était refusé, ce corps étranger frémissait légèrement, affirmait son indépendance et, avant que je le réalise, tombait par terre. Au loin se dressait invariablement une tour. Une tour enveloppée de brume, aux contours indécis, telle une rêverie lointaine. Mais aujourd’hui, je n’échoue plus ainsi. Evidemment, la tour ne m’apparaît plus non plus." (page 7).

Très rapidement, la tour fait sa réapparition.
"Par-delà plusieurs poteaux électriques, une gigantesque tour métallique est soumise au battement incessant de la pluie. Je détourne les yeux, mais, bien entendu, même si je ne la regarde pas, elle est toujours là." (page 24).
Mauvais présage, très certainement...

Les scènes de vols sont intéressantes : échauffement des mains, répérage de la future victime dans la foule, et passage à l'acte.
Notre pickpocket est dans le train :
"Le système nerveux de l’être humain, quand il est soumis simultanément à deux stimuli, l’un fort et l’autre faible, néglige le plus faible. Cette portion de voie ferrée comprend deux grandes courbes, dans lesquelles le train bringuebale fortement. [...] Le dos de la main tourné vers le gigolo, je saisis son portefeuille entre deux doigts. Les autres passagers forment un angle droit autour de moi. La couture du bord de la poche est défaite, les fils dessinent des spirales nettes, comme des serpents. A l’instant où le train tangue, je pousse le dos du gigolo de ma poitrine, comme si je m’appuyais contre lui, et extrais le portefeuille à la verticale. J’expire pour relâcher la pression et je sens une chaleur se répandre dans mon corps. Je guette une réaction autour de moi, rien à signaler. Un cas aussi simple que celui-ci, je ne risquais pas de commettre d’impair." (page 10).

C'est presque magique. Notre héros a besoin d'argent ? Il repère un type, localise son portefeuille, et quelques minutes plus tard, il l'a volé. Mais il ne roule pas sur l'or, loin de là. Il vole quand il a besoin d'argent.

Qui est-il notre héros ? On n'a que peu d'informations sur lui. Il n'y a pas vraiment de flash-back, pas beaucoup d'explications sur les personnages auxquels il pense ou qu'il rencontre, mais on a suffisamment d'éléments pour comprendre. Il n'a pas de famille, pas d'amis. Quelques relations de travail.
Et puis, il va être pris dans une drôle d'affaire (il faut quand même qu'il y ait une histoire).

On a donc une sombre histoire, et le méchant de service est un peu caricatural. Il aime disserter sur le Destin, les gens qui jouent à être Dieu en maîtrisant la vie des autres (ceci dit, il raconte une histoire intéressante de quatre pages).
"La meilleure façon de vivre, c'est de combiner sciemment la souffrance et la joie. [...] Quand tu regardes une femme se tordre de douleur, tu as de la peine pour elle, tu te dis qu'elle est malheureuse, tu imagines sa souffrance, tu penses même à ses parents qui l'ont élevée et tu verses des larmes de compassion tout en lui infligeant des souffrances encore plus atroces. Cet instant est jubilatoire ! Savoure tout ce que le monde t'offre. [...] Moi, immédiatement après avoir infligé une mort atroce à quelqu'un, je trouve superbe le soleil qui se lève, ravissant le sourire d'un enfant que je croise. Si c'est un orphelin, je lui tendrai peut-être la main, à moins que je ne le tue à l'improviste. En pensant, pauvre petit ! Si Dieu et le destin étaient dotés d'une personnalité et d'émotions, tu ne crois pas que c'est à peu près ce qu'ils éprouveraient ? Dans ce monde où les bons et les enfants meurent injustement !" (page 134).
Charmant.

C'est un curieux livre, un peu bancal : Nakamura Fuminori lance des pistes, mais ne les suit pas.
Par exemple, notre pickpocket trouve parfois des portefeuilles dans ses poches, mais il ne se souvient pas de les avoir volés (est-ce pour montrer qu'il est tellement bon qu'il vole sans plus y prêter attention ? pourtant, on le voit à chaque fois se préparer avec attention... bizarre...)
On a donc un peu de symbole (les tours), mais aussi une tentative de parler des marginaux de la société japonaise (pickpockets, voleurs, yakuzas, prostituées...). Une once de symbolisme, du réalisme... mais rien n'est fouillé, et le méchant fait trop gros méchant de cinéma ou de BD.

Les scènes de vol sont plutôt réussies, quand il le faut le suspens est bien mené. L'aspect social, à travers notamment une femme et son enfant, n'est pas inintéressant non plus. Mais tout ça n'est pas bien raccord, et la partie polar a un scénario un peu léger.

Le livre laisse donc une impression bizarre d'inachèvement volontaire, un peu comme si Nakamura Fuminori avait fait exprès, pour frustrer ses lecteurs, de ne pas explorer les pistes qui s'ouvraient à lui, et qui auraient pu donner de l'épaisseur à son roman.
Mais c'est sans doute ce mélange de social et de polar qui lui a valu le prix Kenzaburo Oé 2010. Une façon de mettre en lumière un roman japonais "sérieux" qui met en scène des quasi-exclus et montre la dureté de la société, probablement.


On pourra lire les 57 premières pages sur le site de Picquier : http://www.editions-picquier.com/ouvrage/pickpocket-2/  (merci !)

 

En complément de programme, voici deux scènes du Pickpocket de Bresson (1959).

 

 

 

revolver
Couverture : oeuvre de Izutsu Hiroyuki

Revolver (Jū, 銃, 2002). Traduit du japonais en 2015 par Myriam Dartois-Ako. Editions Philippe Picquier. 174 pages.
Il s'agit du premier roman de l'auteur, récompensé par le prix Shinchôsha des jeunes auteurs en 2002.

Le narrateur a vingt et un ans. Il est étudiant à l'université.
On entre dans le vif du sujet dès la première phrase :
"Hier, j'ai trouvé un revolver. Ou peut-être l'ai-je volé, je ne sais pas trop. Je ne connais rien d'aussi beau, rien qui se cale aussi bien dans la main. Je n'avais jamais eu d'attirance pour les armes à feu, mais à ce moment-là, la seule pensée qui m'habitait, c'est qu'il me fallait ce revolver." (page 7)
Le narrateur a trouvé cette arme dans des circonstances particulières.
"Souvent, quand quelque chose va m'arriver, il y a un chat qui m'observe. Sur le coup, je n'y ai pas vraiment fait attention, mais avec le recul, c'était peut-être bien un signe." (page 8).
Il marche beaucoup et achète fréquemment des canettes de café à un distributeur automatique. Il lui arrive aussi de dormir pendant un nombre d'heures anormalement élevé, sans que l'on sache trop pourquoi. Parfois, de brusques accès de torpeur font qu'il ne comprend plus ce que lui disent les gens.
De plus, il lui arrive d'agir malgré lui :
"De temps en temps, je me retrouve à faire l'inverse de ce que je voulais faire, comment dire, j'ai parfois ce genre de comportement." (page 8).
Il joue un rôle avec les autres, s'amuse à adopter tel ou tel comportement pour voir comment son entourage va réagir. Mais, finalement, il joue peut-être aussi un rôle vis-à-vis de lui-même, sans en être conscient, ce qui expliquerait qu'il se surprenne, de la même façon qu'il peut surprendre volontairement les gens. Il y a peut-être en lui quelqu'un qui l'observe.
Il est poli, ne s'énerve pas, même quand il le devrait. Il regarde le monde de l'extérieur, agit cyniquement.
Même lorsqu'il ressent des émotions, il s'étudie avec curiosité pour voir comment il réagit face au stress, à la peur.
"Bien entendu, je n'aime pas l'angoisse ou la peur en tant que telles, mais le stimulus qui les accompagne m'intéresse." (page 60).

La découverte du revolver est à l'origine d'une grande émotion :
"J'ai senti une joie intense envahir tout mon être. En même temps, je me suis demandé pourquoi cette simple vue suffisait à m'exalter ainsi, à me remplir d'allégresse, et j'ai trouvé cela dérangeant. J'avais l'impression de me déchirer en deux, c'était ce que je ressentais. [...] L'exaltation a fini par me submerger et, un instant, je m'y suis abandonné. [...] Puis, une phrase a surgi dans mon esprit : cette arme, elle est à moi maintenant. A peine formulée, cette pensée s'est mis à tourner dans ma tête. C'était un refrain si doux, si agréable que c'en était déroutant, jamais je n'avais éprouvé une telle sensation de plénitude. [...] Peut-être n'étais-je pas dans mon état normal, je n'en sais rien." (page 12)
Toujours est-il qu'il va bichonner son revolver, un peu comme Gollum avec son anneau. Sauf que, contrairement à Gollum, il ne va pas rester replié sur lui-même. Au contraire, la pensée d'avoir un revolver semble le changer (c'est du moins ce qu'il dit ; faut-il vraiment le croire ?) : il devient plus entreprenant, plus dynamique, et ça, c'est bien, pense-t-il. D'ailleurs, rapidement, il a "tiré un coup" (page 48)... avec une fille.

"Par-dessus tout, l'arme me faisait me sentir vivant, c'était exactement ce que je ressentais." (page 141).
L'étudiant pourra-t-il se contenter de contempler cette arme, de l'astiquer ?

Un roman intéressant. La volonté d'analyse extrême de la part du narrateur n'aboutit jamais à une vraie compréhension de ses motivations. Parfois même, on croirait qu'elle l'en éloigne. Peut-être une part de sa conscience le regarde-t-elle en s'en amusant.

On pourra lire les 44 premières pages sur : http://www.editions-picquier.com/ouvrage/revolver-2/

l'hiver dernier

L'Hiver dernier, je me suis séparé de toi (Kyonen no fuyu, Kimi to wakare, 去年の冬、きみと別れ, 2013). Roman traduit par Myriam Dartois-Ako. Picquier. 181 pages.
Le livre est constitué de chapitres et documents, tous écrits à la première personne, sans qu'il s'agisse toujours de la même... il faut parfois du temps pour comprendre qui parle, cela fait partie du jeu.
Le roman commence ainsi :
"- C'est bien vous qui les avez tuées... n'est-ce pas ?
Malgré mon affirmation, l'homme reste de marbre. Dans son survêtement noir, il se tient avachi, comme vautré sur une chaise. Sans la plaque de plexiglas transparent entre nous, ressentirais-je de la peur ? Il a les joues creuses, les yeux légèrement enfoncés dans les orbites.
- Cela m’intrigue depuis le début... Pourquoi, après avoir tué Akiko... avez-vous...
Pas si vite.
L’homme intervient. Son visage est toujours vide d’expression. Il ne semble ni triste, ni en colère. Il est simplement fatigué. Voilà longtemps qu’il est épuisé.
Et si, au contraire, c’était moi qui t’interrogeais ?
La voix de l’homme, malgré le plexiglas entre nous, est clairement audible.
Es-tu... prêt ?
- Pardon ?
L’air se refroidit.
[...]
... Tu veux savoir ce qui se passe en moi. C’est ça ?... Tu veux savoir pourquoi j’ai commis ces crimes, connaître mes motivations profondes... Mais personne ne vient me rendre visite... Tu comprends ce que cela signifie ? "

Le journaliste interroge donc, dans le but d'écrire un livre, un photographe emprisonné pour deux meurtres atroces. Mais les a-t-il vraiment commis ? Et si oui, pourquoi ?
Le face à face du début fait forcément penser au Silence des Agneaux. Au cours de son enquête, le journaliste (et le lecteur avec lui) va tenter de démêler les fils d'une histoire particulièrement retorse, qui implique un photographe aux goûts étranges, sa soeur croqueuse d'hommes, de mystérieux amateurs de poupées...

Le roman, malgré son titre qui sonne un peu Marc Lévy, n'est pas mauvais du tout : il vaut mieux, toutefois, aimer les histoires perverses. Si c'est le cas, on sera bien servi.

Une remarque : page 43, quelqu'un dit avoir lu quelques-uns des romans d'Akutagawa, ce qui n'est pas possible, vu qu'il n'en a pas écrit. Un mystère à élucider ?

On pourra en lire les 27 premières pages sur : http://www.editions-picquier.com/ouvrage/lhiver-dernier-je-me-suis-separe-de-toi/


Dédicace de l'auteur, le 2 février 2017 à la librairie Junku.
La veille, Nakamura Fuminori avait fait une conférence (paraît-il très intéressante, mais je n'y étais malheureusement pas) à la Maison de la Culture du Japon.

 

 




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