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Mikhail Boulgakov

(Kiev, 15/05/1891 - Moscou, 10/03/1940)

boulgakov


"Mikhaïl Boulgakov travaille d'abord comme médecin durant la période troublée de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile russe. Puis, à partir de 1920, il abandonne cette profession pour se consacrer au journalisme et à la littérature, où il est confronté, tout au long de sa carrière, aux difficultés de la censure soviétique.

Mort à seulement 48 ans, il a écrit pour le théâtre et l'opéra, mais il est surtout connu pour des œuvres de fiction comme les romans La Garde blanche (Белая Гвардия), paru en 1925, et Le Roman de monsieur de Molière (Мольер), achevé en 1933 (publié en URSS, de manière expurgée, en 1962 et de manière intégrale en 1989), ou la nouvelle Cœur de chien (Собачье сердце), achevée en 1925, mais publié en URSS en 1987.

Son œuvre la plus connue est Le Maître et Marguerite (Мастер и Маргарита), roman plusieurs fois réécrit et retravaillé entre 1928 et 1940, publié en URSS dans son intégralité en 1973, dans lequel il mêle habilement le fantastique et le réel, de telle sorte que le fantastique passe pour réel, et le réel pour fantastique, ainsi que les époques et les lieux, Jérusalem au ier siècle, sous Ponce Pilate, et Moscou, dans les années 1930, sous la dictature soviétique." (suite à lire sur Wikipedia).

 

 

    
coeur de chien     la pléiade

- Coeur de chien (1925). Traduit du russe par M. Roman (2012). Editions Sillage. 155 pages.
On trouvera plus bas deux comparaisons de traductions avec la version de Françoise Flamant (volume 1 des Oeuvres de Boulgakov dans la Pléiade).

Il s'agit de la troisième nouvelle fantastique de Boulgakov écrite entre 1923 et 1925, après Endiablade et Les Œufs fatidiques (ou Les Oeufs du Destin).
"L'imaginaire qui, dans Endiablade, est de nature onirique relève, dans Coeur de Chien, comme dans Les Oeufs du Destin, de l'anticipation scientifique terrifiante. Dans ces deux dernières nouvelles, un savant génial, émule russe du docteur Faust, est aiguillé par le hasard sur une découverte d'abord prometteuse, qui se révèle ensuite catastrophique pour l'humanité." (Françoise Flamant, Notice, La Pléiade, pages 1582-1583).
Les découvertes scientifiques qui mènent à une catastrophe, on en trouve aussi, à la même époque, chez Karel Čapek.

Voici le début de la nouvelle :

Version M. Roman (Sillages)
Version F. Flamant (Pléiade)

"Ouh ouh ouh ouh ouh ouh ! Ouh ! Ouh ! Ouh !
Ah ! Regardez, regardez-moi, je meurs ! La tempête de neige sous ma porte cochère me hurle une dernière prière et je hurle avec elle. Je suis fini, fichu !
" (page 17).

"Hou-ou-ou-ou-ou-ou-houhou-ouou ! Oh, regardez : vous me voyez ? je meurs ! La tempête, sous le porche, me rugit la prière des agonisants, et je la hurle en même temps. Je suis mort, fini !" (page 193)


C'est le début de la nouvelle ; nous suivons un chien qui pense mourir de froid.

Version M. Roman (Sillages)
Version F. Flamant (Pléiade)

"Le chien, pour sa part, ne quitta pas sa porte cochère ; souffrant de son flanc mutilé, il se colla contre le grand mur froid et, le souffle court, résolut de ne plus en bouger : il allait mourir ici, sous cette porte cochère. Le désespoir s'abattit sur lui. Le coeur chagrin, amer, en proie à la peur et à la solitude, il se mit à verser de petites larmes de chien, semblables à des pustules, qui séchaient aussitôt." (pages 20-21).

"Le chien, lui, resta sous le porche et, souffrant de son flanc mutilé, il se rencogna contre le grand mur glacé et là, le souffle coupé, il prit la ferme résolution de ne quitter cet endroit pour aucun autre ; c'était ici, sous ce porche, qu'il crèverait. Le désespoir l'avait mis K.O. Il avait le coeur si lourd et si douloureux, si grandes étaient sa peur et sa solitude, que de petites larmes de chien, telles de fines papules, lui sortirent des yeux, aussitôt séchées." (page 196)

Mais voilà qu'un mystérieux individu s'approche... Et il a du bon saucisson, une Spécialité de Cracovie, ô joie !
"Il s'étrangla aux larmes avec la neige et le saucisson : dans sa gloutonnerie, il avait manqué avaler la ficelle. Encore, encore ! Je vous lèche la main ! Je vous baise le pantalon, cher bienfaiteur !" (pages 23-24)

Notre ami canin suit l'homme, un certain Filipp Filippovitch, un professeur génial - il est un "fleuron de la science européenne", page 48 - qui a été épargné par le pouvoir soviétique. Il dispose d'un appartement de sept pièces !
Rapidement, le nouveau comité d'immeuble rapplique pour s'entretenir avec lui de la "compression des appartements" (page 43). C'est l'occasion d'un échange amusant :
"C'est justement de la salle à manger que nous voulions vous parler. L'assemblée générale vous demande de la céder, au nom de la discipline du travail. Personne n'a de salle à manger, à Moscou.
- Même pas Isadora Duncan ! piailla la fille.
" (page 44).

Notre professeur envisage, un jour qu'il aura du temps, de se "livrer à une étude du cerveau pour démontrer que toute cette agitation sociale relève au fond d'une forme de délire." (page 53). Il parle des événements qui ont commencé en 1917...
Etre génial ne suffit pas. Il a surtout du piston, et va donc s'en tirer, après quoi il va pouvoir passer à table et bien manger : caviar, vodka... Il discute avec un collègue :
"Remarquez, Ivan Arnoldovitch, qu'il n'y a que les derniers hobereaux non encore massacrés par les bolchéviques pour prendre en entrée des zakouskis froids et de la soupe. Un individu qui se respecte opère avec des zakouskis chauds." (page 50).
Et là, hop, notre ami le chien profite de la générosité du professeur.

Mais, au fait, pourquoi est-il là, notre ami canin ? Le professeur aurait-il fait preuve de charité ? Pas exactement, bien sûr. Il conduit avec beaucoup de succès des expériences sur le rajeunissement, et il se trouve qu'il a besoin d'un cobaye pour une opération stupéfiante... qui donnera des résultats incroyables et totalement inattendus. L'Humanité pourra en être changée !

Par contre, ce qui est beaucoup plus attendu, c'est que le texte n'a pas franchi le cap de la censure (il est même difficilement imaginable d'oser soumettre à la censure un texte pareil en 1925).

portrait
Sergei Chepik, Portrait de Mikhail Boulgakov, 2006-2007. Technique mixte sur papier.

Françoise Flamant insiste sur la diversité des procédés et des styles de la nouvelle. "Le discours prêté aux personnages tantôt se réduit au cri inarticulé ou à l'imprécation, tantôt inclut des bribes d'opéra ou de mélodies classiques, parodie tour à tour la langue de bois marxiste-léniniste, le slogan, le genre des propos de table, se coule dans celui de l'entretien philosophique." (page 1583).

La version de M. Roman est souvent plus amusante que la version Flamant. Par exemple, on a "Nom d'un chien" (page 107) au lieu de "Mon Dieu" (Pléiade, page 261).


Coeur de chien est une très bonne nouvelle, très amusante, très efficace.
Le caractère satirique est évident. Une partie nous échappe forcément : les allusions à des personnages connus de l'époque, tout d'abord. Mais pas seulement. Ainsi, à un moment, Filipp Filippovitch et son collègue, face à une certaine situation problématique (sans trop en dire...), adoptent deux attitudes différentes, illustrant ainsi "chacun une étape dans l'évolution de l'intelligentsia de l'idéalisme à l'idéologie." (Pléiade, notice, page 1593). Le lecteur moyen entrevoit l'ampleur de ce qui lui avait échappé...

Mais il y a encore beaucoup plus. C'est ce que nous apprend F. Flamand, toujours dans sa notice de l'édition Pléiade : "La cohérence de nombreux signaux dispersés dans le texte autorise en effet une lecture biblique - sinon « orthodoxe » de la nouvelle." (page 1588). Ce qu'elle en écrit est extrêmement convaincant, et finalement bluffant quand on y réfléchit après coup.
Et comme ce n'est pas encore tout, elle parle aussi précisément des relations avec Les Douze, le poème d'Alexandre Blok... Sans compter que certains ont aussi établi des relations avec Les Frères Karamazov...

La richesse du texte est finalement assez incroyable mais pas forcément visible sans les explications adéquates (merci à la notice de la Pléiade...).
"[...] tout cela fait de Coeur de chien, dans le genre de la nouvelle, une oeuvre tout aussi magistrale que Le Maître et Marguerite". (page 1594).

 

 

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