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Andrus Kivirähk

(Tallinn, Estonie, 17/08/1970- )

kivirähk

"Écrivain très prolifique et novateur,est considéré1 comme l'un des plus fascinants jeunes écrivains estoniens. Andrus Kivirahk commence à écrire pour les journaux à l'âge de 15 ans.
Par la suite il devient journaliste professionnel, c'est un chroniqueur plein d'humour et plein d'esprit violant les tabous.

Comme écrivain il est très productif, il attire l’attention au début des années 1990 avec ses histoires d’Ivan Orav (Ivan L’écureuil). Il est un grand conteur, dont les écrits dégagent un humour chaleureux et délicat. Son livre le plus connu est un roman absurde Ivan Orava Mälestuse. L'auteur y décrit avec humour la douce vie des une vie des années 1930, la République d'Estonie et l'Estonie d'après-guerre. Andrus Kivirähk a aussi écrit des pièces, dont un grand nombre ont été représentées dans les théâtres estoniens, ainsi que des scénarios pour la télévision et le cinéma.
En 2004 son livre Rehepapp ehk November se vend à 30 000 exemplaires faisant de lui l’écrivain estonien le plus populaire du 21e siècle. En 2007, son livre ‘’Mees, kes teadis ussisõnu’’ [L’Homme qui savait la langue des serpents] a été aussi l’une des meilleures ventes en Estonie.
" (Wikipedia).


l'homme qui savait la langue des serpents


- L'Homme qui savait la langue des serpents (Mees, kes teadis ussisõnu, 2007). Traduit de l'estonien et postfacé en 2013 par Jean-Pierre Minaudier. 428 pages. Editions Attila.
On commence par une note du traducteur : "Dans les mythes nationalistes du XIX° et du XX° siècle, les Estoniens de la préhistoire, c'est-à-dire avant l'invasion allemande, vivaient unis, libres et heureux, en accord avec la nature à laquelle ils rendaient un culte. Ils étaient censés être « un peuple de la forêt » par opposition aux Occidentaux, peuples d'agriculteurs, et aux cavaliers nomades des steppes orientales."

Le roman se situe à cette époque charnière. Il est déjà trop tard pour le mode de vie mythique du peuple de la forêt :
"Il n'y a plus personne dans la forêt. Sauf des scarabées et autres petites bestioles, bien entendu. [...]
La plupart du temps, il n'y a pas âme qui vive, une ou deux fois je suis tombé sur un chevreuil ou sur un sanglier ; mais ils se sont faits froussards, ils me craignent rien qu'à l'odeur. Quand je siffle, ils se figent sur place, ils me fixent d'une air borné, les yeux ronds, sans s'approcher. En voilà un prodige : un homme qui sait la langue des serpents ! Cela les effraye encore plus
[...]" (page 5).
La langue des serpents permet bien sûr de communiquer avec les serpents, mais aussi de donner des ordres aux autres animaux, qui ne peuvent s'y soustraire. Vous avez faim ? Vous sifflez les mots qu'il faut, un chevreuil arrive, et le repas est prêt !

Le livre retrace la vie de notre héros, son apprentissage de la langue des serpents auprès de son oncle. Et l'on découvre tout un monde incroyable.
"Mais ce qui m'attirait le plus, ces derniers temps, c'étaient les anthropopithèques, à cause des poux.
C'étaient leurs animaux favoris. Ils en élevaient. Comme ils n'avaient pas eu d'enfants, ils reportaient sur eux toute leur attention et leur tendresse. [...] Certains étaient des poux ordinaires, tout gris, mais d'autres étaient de la taille d'une grenouille : Pirre et Rääk les avaient obtenus grâce à une alimentation spéciale et à leurs dons d'éleveurs. Parfois ils les prenaient sur leurs genoux et les caressaient de leurs mains velues.
" (page 65).
Drôles de personnages pour qui les habitants de la forêt, à part eux, sont déjà bien loin sur le chemin de l'évolution. Eux sont les tenants d'une vraie ancestralité, pour ainsi dire.
Ces sortes de fossiles vivants n'ont donc pas d'enfants. Tôt ou tard, ce sera la fin...

On apprend à connaître les fameux serpents (très bon passage d'hibernation)... on sait maintenant que les mamans serpents "racontent à leurs enfants des kyrielles de terrifiantes histoires de mues qui, mystérieusement dotées de mouvement, poursuivent leur ancien propriétaire pour l'étrangler." (page 58).

Et les ours drageurs ! Les tombeurs de ces dames !
"Ces plantigrades en train de chasser la femme peuvent se tenir comme ça pendant des journées entières, patiemment, sans manger ni boire, la tête penchée de côté, les pattes paisiblement croisées sur le ventre et l'air bêtement enamouré. C'est incroyable comme ça marche avec les filles. Les voilà qui se mettent à soupirer d'un air attendri : « Oh le mignon nounours ! », tandis que compère Brun, satisfait de son effet, se relève et se met à claudiquer gauchement vers l'élus de ses rêves, un bouton d'or cueilli sur la lande entre ses dents." (pages 67-68)

Pourtant, de plus en plus de familles quittent la forêt pour vivre dans les villages pour profiter des bienfaits de la Civilisation : le pain, le vin, le Christianisme. Ils en arrivent à nier qu'une langue des serpents puissent exister : il ne peut s'agir que de l'oeuvre du démon. Ceux qui habitent dans le village n'ont pas l'air très finauds, ils suivent la mode : ce qui est bon pour le monde entier est forcément bon pour les Estoniens ! Ce qui vient de l'étranger est toujours si extraordinaire ! Ils ont donc perdu la mémoire et la capacité de raisonnement.

Il n'y a plus assez de gens qui maîtrisent la langue des serpents pour invoquer, en faisant masse, la Salamandre, gigantesque créature volante qui, à elle seule, pouvait massacrer les envahisseurs... Cette Salamandre doit dormir quelque part... mais où ? Est-il déjà trop tard ? Oui, bien sûr. Mais faut-il accepter l'inévitable sans lutter ? Contempler tranquillement le coucher du soleil, ou bien tenter un dernier feu d'artifice ?

Le roman est donc franchement crépusculaire : c'est la fin d'une civilisation, et celle qui suit n'a pas l'air bien joyeuse.
L'intolérance est bien répartie entre les habitants du village et certains qui, restés dans la forêt, sont des tenants fanatiques de la tradition (ou plutôt d'une conception déformée qu'ils se font de la tradition).
Les amateurs de massacres ne seront pas déçus. De plus, si l'on n'a pas déjà lu Le Dit des fils de Ragnarr (notamment), on pourra découvrir une charmante méthode d'exécution : l'Aigle de sang (dont la réalité historique est apparemment contestée, voir l'article de Wikipedia).


L'homme qui savait la langue des serpents est un roman historico-fantastique crépusculaire vraiment très intéressant, très original, avec des passages parfois scotchants, même si le dernier quart est quand même moins bon, avec des événements trop synchronisés, qui s'emboîtent trop bien ("faut pas pousser !"). Kivirähk en fait alors un peu trop.
La postface permet de mieux comprendre le contexte contemporain, car l'histoire a bien sûr des échos contemporains, ce que l'on devine (on n'est pas ici dans une histoire d'anneau qu'il faut trouver pour sauver le monde) sans forcément tout comprendre.

"Mais pour l'essentiel, Kirivähk a choisi l'ironie pour angle d'attaque, moyennant un renversement de perspective qui constitue l'un de ses principaux ressorts comiques : la modernité qui est en train de marginaliser l'univers du narrateur, de ravager sa vie, n'est rien d'autre que la société villageoise et agricole traditionnelle estonienne, qu'idéalisent les nationalistes depuis le XIX° siècle. Le message est que même si nous nous croyons fort traditionnels, nous sommes toujours les modernes de quelqu'un, car toute tradition a un jour été une innovation. Le village, la ferme sont présentés du point de vue d'un homme qui les tient pour des univers hostiles, des instruments d'une invasion et d'une déculturation." (Jean-Pierre Minaudier, postface pages 424-425)

 

groseilles   groseilles      rehepapp
Couverture : vision d'un kratt par Denis Dubois. A droite : couverture de l'édition estonienne.

- Les Groseilles de novembre. Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts. (Rehepapp ehk November, 2000). Traduit de l'estonien par Antoine Chalvin en 2014. 266 pages. Le Tripode Editions.
"Nous voici cette fois immergés dans la vie quotidienne d'un village estonien où tout pourrait sembler normal et où, très vite, plus rien de l'est. Les seigneurs sont dupés par leurs serfs, des démons maraudent, des vaches magiques paissent sur les rivages, les morts reviennent, le diable tient ses comptes, une sorcière prépare ses philtres dans la forêt et, partout, chaque jour, les jeux du désir tirent les ficelles.", dit le rabat du livre, qui n'a pas tort.
L'histoire se déroule dans un village estonien, à une époque indéterminée, moyenâgeuse, durant tout le mois de novembre. Les journées sont très courtes, le temps est au gris, il neige souvent.

Dans le village, tout le monde embobine, trompe, dupe tout le monde, et au premier chef le baron allemand qui réside au manoir.
En effet, chacun cherche à survivre et, pour survivre, il faut se procurer de quoi manger. Pour cela, c'est simple : il suffit de voler. Et il n'est même pas besoin de le faire soi-même, il suffit de demander à son kratt.
Mais qu'est-ce qu'un kratt ? Une note du traducteur nous l'apprend, page 12 : "Kratt : dans le folklore estonien, créature volante façonnée à partir de vieux objets et qui rapporte à son maître de l'argent ou de la nourriture". Assembler de vieux objets, c'est facile... Mais comment transformer l'ensemble en kratt ? C'est très simple : il suffit d'aller trouver le Vieux-Païen (le Diable) dans la forêt. Il sera ravi d'insuffler une âme dans le kratt pour pas cher : un pacte, une petite signature avec son sang... il faut à chaque fois faire preuve d'intelligence pour espérer échapper à la damnation... Heureusement, le Vieux-Païen est un peu comme le baron allemand : pas très intelligent.

"Les brèves heures de jour avaient pris fin, la pénombre était là, comme un marié à sa noce, et s'étalait partout d'un air important. On ne voyait aucune étoile, pas même la lune. Seuls quelques kratts à la queue de feu, qu'on appelait aussi des « petites-queues», passaient à vive allure dans le ciel, leur sac de provisions volées entre les dents. Parfois, l'un d'eux poussait un cri et s'éteignait. Cela signifiait que le propriétaire avait découvert le larcin et avait frappé trois fois contre le sol avec le talon de son pied gauche : alors le kratt dégringolait du ciel à grand fracas.
Il fallait toujours être vigilant pour ne pas se faire voler. Les gens du manoir, dont on apercevait au loin la silhouette claire, étaient particulièrement naïfs et ne connaissaient pas les méthodes pour lutter contre les kratts, c'est pourquoi ils se faisaient dépouiller impitoyablement. Mais ils achetaient aussitôt de nouvelles provisions en Allemagne, de sorte que la source ne tarissait jamais
[...] (page 15).

La forêt est pleine de créatures étranges. Il faut savoir ce qu'il faut faire pour leur échapper. Mais le danger peut aussi venir frapper à la porte des gens...
Les maladies rôdent. Elles sont futées. La pire de toutes, c'est la peste. Un certain Villu, d'un village voisin, vient prévenir un des personnages principaux de l'histoire, le granger :
"« Elle est arrivée cette nuit dans le village, reprit Villu sans attendre d'autres questions. Nous n'avons eu le temps de rien faire. J'ai juste réussi à la tromper : j'ai enfilé en vitesse un pantalon sur ma tête et lorsqu'elle est arrivée, elle m'a examiné longtemps et a dit pour finir : « Je n'ai encore jamais vu un humain à deux culs. À tout hasard, il vaut mieux que je ne le prenne pas. » Et elle a passé son chemin. Quant à moi, je me suis enfui dans le marais, j'y suis resté allongé longtemps et j'ai entendu les cris qui venaient du village. Oui, tous les autres sont morts." (page 129-130).
Comment échapper à la peste, qui risque d'arriver à tout instant ? Il va falloir jouer serré.

Duperies, tromperies en tout genre, magie, créatures infernales et originales... Un très bon roman qui déborde d'imagination.

La version cinématographique est apparemment prévue, mais actuellement à l'arrêt, s'il faut en croire la notice de Wikipedia.

 

Le Papillon, premier roman de l'auteur, sort en janvier 2017.

le papillon

 


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