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Véronique BRINDEAU
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vérnoique brindeau

 

"Véronique Brindeau enseigne l’histoire de la musique japonaise à l’Institut National des Langues et Civilisations orientales. Elle est aussi coordinatrice éditoriale à la Cité de la musique.
Elle a publié aux éditions Philippe Picquier des traductions de nouvelles d’Ikezawa Natsuki." (source : Picquier)

Il faut mentionner aussi Le jeu des fleurs, Hanafuda (lire une interview intéressante sur http://www.journaldujapon.com/2009/04/interview-de-veronique-brindeau-et-frederic-clemen.html) et, récemment, une traduction de poèmes d'Ogawa Shizue, Une âme qui joue.


 

louange des mousses

Louange des mousses. (2012). Editions Philippe Picquier, 88 pages.

Tout d'abord, l'auteur plante le décor mousseux :
"Elles sont d'avant le temps des hommes, bien avant celui des arbres et des fleurs." (page 9)

Les Japonais "lui font place autour des temples et portent au rang de trésor la mousse la plus simple comme nous le faisons de chênes vénérables, d'arbres majestueux ou rares, de roses." (page 10).
"Car c'est bien au Japon, et là seulement, que l'on cultive et admire ces mousses modestes, détestées de nos jardiniers, tout occupés au contraire à les détruire." (page 10)

Puis, on apprend que les mousses ont des noms, au Japon, je veux dire des noms qui se retiennent facilement, et donc que l'on peut employer dans la vie de tous les jours.
"Le français courant n'en connaît guère que trois - le dicrane en balais, l'éteignoir et la frullaine - quand la langue japonaise commune les accueille à foison dans une profusion lexicale qu'elle exerce aussi généreusement à l'égard des nuages." (pages 13-14)
"[...] le moindre guide de poche de l'amateur de mousses, au Japon, rassemble plus de trois cents de ces noms usuels, tout emplis de lanternes, de pinceaux, d'écureuils et de givre." (page 15) : pinceau du Yamato, mousse-cyprès "ondoyante et légère, d'un vert mordoré comme un grain de chasselas mûr, rendue plus précieuse encore de la savoir bien peu résistante à la pollution des villes." (pages 15-16) ; et encore "givre qui se dépose", "mousse-lanterne", "grande ombrelle", "petit cyprès", "mousse-cigare", "écureuil", "mousse-phoenix"... ce sont tous des mots largement plus évocateurs que nos Racomitrium lanuginosum, et autres Rhizogonium dozyanum...
"La langue japonaise donne ainsi aux nuages, aux îles des jardins, à leurs lanternes de pierre comme aux mousses, ces noms que l'imaginaire n'oublie et dont il s'enchante." (page 18).

Ensuite, dans le chapitre "Tout un monde lointain" (qui à la fois rappelle que l'auteur connaît la musique contemporaine, et fait peut-être une allusion à la forêt : "Tout un monde lointain, absent, presque défunt,/
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !", Baudelaire, Les Fleurs du Mal - La Chevelure) un rapprochement, ou plutôt une comparaison, est faite avec l'art du bonsaï.

Les bonsaïs, ce sont des arbres miniatures ; les mousses, elles, sont regardées comme si leur échelle était autre : on se baisse, on se rapetisse (les Japonais ont plus l'habitude que nous de se pencher, d'être au ras du sol, jusque dans le choix de la position de la caméra dans les films d'Ozu, d'où peut-être leur attention plus grande à ce qui s'y passe). E l'on est en droit de comparer les mousses aux arbres, car on y voit des arbres, ce qui se reflète dans le noms de certaines mousses : petit cyprès, mousse-cèdre...
"La mousse est un bonsaï naturel : nul besoin de taille, puisque notre regard peut en changer l'échelle." (page 33).
De plus : "Au pied du tronc de l'arbre en bonsaï, la mousse tout exprès disposée rehausse elle aussi de sa couleur et de sa densité, par un choix approprié, la beauté d'une oeuvre jamais achevée [...]" (page 25).

Ensuite, Véronique Brindeau aborde le "koke bonkei", paysage miniature de mousses disposé "dans des vasques plates". Ces miniatures de mousses disparaissent en quelques semaines. Les mousses sont choisies pour "figurer une vallée au pied de la montagne où coule une rivière, une pinède, une île au milieu de la mer, un bois de bambous et même un cerisier en fleur [...]" (page 32).
"Voyager en pensée dans un paysage est depuis longtemps au coeur de l'art des jardins du Japon." (page 33).

Après avoir vu les mousses pour ainsi dire individuellement, comme version naturellement miniature des arbres, nous allons les considérer dans leur étendue.
"
Cette dilatation propagée en une nappe de velours, seuls les jardins de mousse du Japon la révèlent pleinement, en une aura d'autant plus magique que rien ne nous prépare à une telle expérience, ni souvenir de paysage ni tableau peint." (page 38)
La mousse de ces jardins y est posée "
telle une brume" : il n'y a pas d'enracinement.
"
Planéité neutre et stable, sans profondeur ni essor, la mousse est toute surface et toute immobilité - d'où naît peut-être la quiétude particulière qui vient à la contempler, dans la plénitude d'une présence et la paix d'une musique qu'aucune tension ne teinte d'espoir ou d'absence." (page 38)
"
De tels lieux sont rares, même au Japon. Ils demandent un soin méticuleux et des conditions très particulières de climat, d'orientation, d'environnement. On les trouve principalement à Kyôto, où l'on connaît surtout ceux du Pavillon d'argent et du Temple des mousses, mais il en est un aussi, plus modeste, un peu en retrait au nord-est de la ville, dans l'enceinte d'un temple de village à Ôhara, où sont d'étranges visages sculptés posés à même le sol, et tout aussi moussus, et qui sourient." (page 39).
Est-ce l'un de ces étranges visages sculptés de Ôhara qui fait la couverture ?
On n'en sait rien. La photo de couverture est signée Arthur Meyerson. Les autres photos sont de Véronique Brindeau, mais il n'est jamais indiqué où ces photos ont été prises. Au début surtout, c'est un peu frustrant.

louange des mousses

Il existe encore un autre lieu, écrit-elle, à la station thermale de Hakone "où l'on se rend surtout pour son musée de sculptures en plein air, et plus rarement, semble-t-il, pour son jardin de mousses de conception moderne [...]" (page 39).
"Mais c'est au Temple des mousses, à Kyôto, que l'on éprouve avec le plus d'étrangeté cette atmosphère de cathédrale engloutie et pourtant sereine." (page 40).
"Ombreuse et douce, la mousse épouse la terre, la couvre d'un manteau comme on le dit de la neige, et pas davantage on n'en peut isoler les brins que les flocons. Elle est le printemps perpétuel comme la neige est l'hiver, et comme elle, restitue le monde à son silence." (page 43).

Voici une photo de ce Temple des mousses (Saihô-ji), trouvée sur wikipedia :
temple des mousses

Il est très difficile de le visiter, surtout pour un touriste étranger... Véronique Brindeau explique toutes les démarches à accomplir (il faut prendre rendez-vous, s'y rendre en bus à la date convenue, puis marcher un bon moment, recopier un soutra, etc.), qui permettent de ne retenir que ceux qui veulent vraiment le visiter, ainsi que de mettre en condition d'apprécier, dans le silence.

Mais ce silence propice à la contemplation et à la méditation se retrouve également ailleurs : "On est de même invité au silence à Naoshima, une des îles de la mer Intérieure, où se trouvent depuis quelques années plusieurs musées d'art contemporain. Parmi les maisons d'un village, les pièces de certaines bâtisses ont été transformées par des artistes [...]" (page 42).
Cela rappelle le festival d'art contemporain de Manuscrit Zéro, d'Ogawa Yôko - voir un jour de juillet, (dimanche) -, livre dans lequel les mousses ont d'ailleurs une certaine importance, puisqu'elles composent même un repas au "Restaurant spécialisé dans la préparation des mousses".
De plus, à Naoshima se trouve la Citrouille géante de Kusama Yayoi... oeuvre qui est en couverture de Tristes Revanches d'Ogawa... Comme quoi, il n'y a pas de hasard !
revanches

Pour continuer dans la digression artistique, au sommet de l'île de Naoshima se trouve la fondation Benesse (voir le site http://www.benesse-artsite.jp/en/ ; vues panoramiques sur : http://electronic-eye.com/benesse-art-site-museums-of-art ), dans laquelle "sont réunies cinq toiles de la série des Nymphéas de Claude Monet" (page 42).
Tout est fait pour inviter au silence, d'autant qu'il est interdit de photographier... Comme pour les toiles de Monet à l'Orangerie à Paris d'ailleurs, où là aussi il est souvent rappelé de ne pas faire de bruit.

Ci-dessous : vue générale du musée-bunker Chichu ; la salle (éclairage naturel) avec les Monet, dont le clou du musée : "water-lily pond" vers 1915-1926 - huile sur toile, diptique, chaque partie mesurant 2 mètres x 3.
chichu  les monet  monet

Mais revenons au livre.

Le minimalisme et la simplicité des mousses ont inspiré les architectes (Véronique Brindeau rappelle "le célèbre Anathème [d'Adolf Loos] : «L'ornement, c'est le crime.»", page 46), depuis la restauration du Tôfukuji à Kyôto en 1938, avec ce damier qui réutilise les pierres d'origine...
tofukuji

...jusqu'à une boutique Prada (conçue par Herzog & de Meuron, auteurs de la Tate Modern de Londres) à Tôkyo (il y a une "pyramide aux faces plaquées de mousses vert sombre" au centre d'un patio vide ; sur la photo ci-dessous, on voit le "pourtour de la construction" qui consiste en "de larges lames également couvertes de mousse", page 46) :
prada prada

Après avoir parlé du temple zen Ryôan.ji de Kyôto, "où l'on oublie le plus souvent, absorbé par la vision du jardin sec, combien cette marge de mousse en bordure des rochers se lie indissolublement à l'ébranlement que l'on reçoit d'une telle vision" (page 54 ; à cette occasion, elle se demande malicieusement s'il n'y aurait pas là une touche d'humour zen, "la mousse soigneusement arrosée au beau milieu du sable sec")...

ryoanji   ryoanji
(photos avril 2008)

...elle aborde le sujet du plus petit des jardins intérieurs, le tsubo niwa.


Dans le chapitre suivant, Véronique Brindeau parle de l'importance des arbres, des frondaisons qui, avec le vent, vont créer des figures mouvantes sur les mousses.
"
A Kyoto, où les jardins des temples sont si nombreux, les plus réputés pour leurs érables sont aussi tapissés de ces mousses dont les nuances de vert offrent une parure aux feuilles rutilantes. Mais peut-être est-ce bien plutôt l'érable le faire-valoir, peut-être n'est-il là que pour faire ressortir avec plus d'éclat la lumière qui tombe des arbres sur la mousse." (page 66)..

Ginkaku-ji (Pavillon d'argent). Pétales sur mousse, avril 2008.
  pavillon d'argent   pavillon d'argent

Et, encore, l'auteur en revient au Temple des mousses, qui aura finalement traversé tout le livre.

C'est un livre incontestablement intéressant, qui relève fréquemment de la balade, du souvenir, un sujet en amenant souvent un autre, en attendant parfois un développement beaucoup plus tard (les origines du Temple des mousses est expliqué en page 86... ce qui est finalement cohérent avec le concept de visite différée du temple)... le lecteur peut être souvent frustré de ne pas voir : tous ces noms incroyables de mousses, ces descriptions, on aimerait bien visualiser, voir du moins en photo. Et lorsqu'il y a une photo (neuf dans tout le livre, sans compter la couverture), elle est plus de l'ordre du général que du particulier, et on ne sait pas où elle a été prise.

Pourquoi ?
L'explication réside probablement à la fin :
"[...] tant il est vrai que ce qu'offre le chemin ne peut jamais qu'être inespéré, comme ces livres découverts par hasard sur les rayonnages d'une librairie, comblant notre attente au-delà de tout et que l'on n'aurait pu désirer trouver, n'en connaissant pas l'existence." (page 72).
C'est donc un livre qui frustre volontairement un peu, qui retarde des explications, qui revient parfois sur des sujets abordés, qui donne envie de voir, sans en donner trop à voir.
Au lecteur intéressé ou curieux, après, d'aller y voir de plus près.

 

Finissons avec un poème d'Armel Guerne, qui s'est intéressé au Japon, (voir Pays de Neige, de Kawabata).

LA MOUSSE

Une mousse brillait, retenant la lumière
Comme un bijou sur le bois mort, comme un diamant
Conteste l'ombre et détruit ses entassements
Dans leurs plis et replis d'intentions inconnues.
Rien qu'une mousse avec un peu d'humidité
Sans doute un reste de rosée au grand matin
Ou quelques gouttes d'une averse évaporée
Partout ailleurs, même sur l'herbe ou chez les fleurs,
Et c'est comme un miracle au-dessus des couleurs
Qui flamboie et nous fixe et nous parle et se tait.

(Le Cycle des lumières)
21 mai 1973
(Le Jardin Colérique, Phébus, page 103).


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