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Jean CLAIR
(20/10/1940 - )


jean clair

 

"Jean Clair, de de son vrai nom Gérard Régnier, est conservateur général du patrimoine, écrivain, essayiste volontiers polémiste et historien de l'art. Il est membre de l'Académie française.

Il est né d'un père agriculteur au passé socialiste et d'une mère fervente catholique.
Il suit un doctorat ès lettres à la faculté des lettres et sciences modernes à la Sorbonne, où il est l'élève de l'historien de l'Art André Chastel et du philosophe Jean Grenier, puis un doctorat de philosophie en Art au Fogg Art Museum de l'Université Harvard. Il est un temps proche de l'Union des étudiants communistes.


Il devient le chroniqueur d’art de la Nouvelle Revue française,

Reçu au concours de conservateur en 1966 à 26 ans, il est conservateur assistant des Musées de France jusqu'en 1969, puis conservateur au Musée national d'art moderne durant dix ans, et du cabinet d'art graphique du Centre Pompidou entre 1980 et 1989.
Nommé conservateur général du Patrimoine en 1989, il dirige jusqu'en 2005 le musée Picasso de Paris. Il a également été commissaire d'un grand nombre d'expositions nationales telles que Duchamp (1977), Les Réalismes (1980), Vienne (1986), l'Âme au corps (1993), Balthus, Szafran, Mélancolie (2005), Crime et Châtiment (2010) et a dirigé la Biennale de Venise du Centenaire.

Rédacteur en chef des Chroniques de l'Art vivant de 1970 à 1975, il est professeur d'histoire de l'art à l'École du Louvre entre 1977 et 1980, et fonde les Cahiers du Musée d'Art Moderne qu'il dirige de 1978 à 19861. Il prend régulièrement part aux débats qui entourent l'art contemporain et la diffusion de l'art1.
Ses nombreuses autobiographies atrabilaires dénoncent la tournure de l'art contemporain qui aurait rompu avec la veille tradition artistique européenne. Ce qui lui vaut d'être taxé de conservateur et réactionnaire.

Jean Clair a été élu à l'Académie française au fauteuil de Bertrand Poirot-Delpech le 22 mai 2008 au premier tour de scrutin par 16 voix contre 7 à Pierre Bergé. "



Texte un peu coupé issu de Wikipedia (à qui l'on dit merci).


 

L'Hiver de la culture(2001 ; Café Voltaire, Flammarion). 141 pages.

Chaque chapitre commence par une citation. Ainsi, le premier chapitre, "Les instruments du culte", commence par « Quand le soleil de la culture est bas sur l'horizon, même les nains projettent de grandes ombres.", Karl Kraus. Le deuxième chapitre, "Le Musée explosé", comporte une citation de Nietzsche : "« Si l'on croit que la culture a une utilité, on confondra rapidement ce qui est utile avec la culture »"...

"Eglises, retables, liturgies, magnificence des offices : les temps anciens pratiquaient la culture du culte. Musées, « installations », expositions, foires de l'art : on se livre aujourd'hui au culte de la culture.
[...] nous sommes, en cinquante ans, tombés dans « le culturel » : affaires culturelles, produits culturels, activités culturelles, loisirs culturels, animateurs culturels [...]
Au quotidien, comme pour faire poids à cette inflation du culturel, on se mettra à litaniser sur le mot « culture » : « culture d'entreprise », « culture du management » (dans les affaires), « culture de l'affrontement « (dans une grève), « culture de l'insécurité » (le parti socialiste), « culture des relations sociales » (dans une usine), « culture du terrain plat » (dans le football)
" (pages 10-11).
Jean Clair aurait aussi pu mentionner le mot "philosophie". Je me souviens d'avoir entendu un petit reportage il y a quelques mois sur France Infos. Le reportage parlait de motos ; eh bien, quasiment dans la même phrase on a eu "culture" et "philosophie"... eh oui, appliqués à la moto !

"Directeur d'un musée, il m'était demandé chaque année de définir mon « PC », c'est-à-dire mon « projet culturel ». Un formulaire était joint à la demande. Je le lisais avec perplexité. Quel peut être le projet d'un musée gardien d'un patrimoine ?" (page 11).

Jean Clair parle ensuite de l'Amérique du Nord où "les seuls monuments à s'élever au-dessus des plaines à blé ou des champs de pétrole, c'étaient, construits hier, les musées." (page 13). Ils ont tous des formes de tour en béton, "comme de lieux qu'on aurait dit menacés".

"L'histoire de l'art américain, de Duchamp à l'art minimal - Don Judd, Robert Morris, Kenneth Noland, David Smith ... -, évoque un art qui, inlassablement, répétera qu'il n'y a rien à lire dans les formes et dans les couleurs de la modernité advenue, aucune mémoire, aucun souvenir, aucun symbole, aucun sens à découvrir ni aucune émotion à sentir, seulement des formes et des couleurs, rien que des formes et des couleurs, qui ne disent jamais rien qu'elles mêmes : « A rose is as rose is a rose... » [il s'agit bien sûr d'un vers de Gertrude Stein,du poème Sacred Emily] un bleu est un bleu est un bleu, un cube est un cube est un cube... [...]" (pages 14-15)
judd donald
Donald Judd, Stack, 1972. Acier inoxydable, plexiglas rouge. 470 x 102,5 x 79,2 cm. Achat de l'Etat 1973.
On ne peut effectivement pas dire que ça exprime grand chose, ou même que ça ait l'ambition d'exprimer grand chose (encore que ?). Peut-être l'art de cette "oeuvre d'art" réside-t-il dans le discours qui va avec, voire dans la démarche, le concept (encore un mot bateau à la mode).... Ce qui voudrait dire que l'oeuvre n'est plus la chose réalisée, finie, mais l'intention... auquel cas, in fine, l'oeuvre matérielle n'est même plus nécessaire, tant que la démarche est connue (si on voit une seule toile de Roman Opalka, on se dit : à quoi bon ? Et en effet, tout l'intérêt, s'il y en a un bien sûr - peindre des chiffres sur une toile, on a vu mieux - , réside dans la démarche : montrer le temps qui passe).
Mais cela n'engage que moi.

Continuons avec Jean Clair.
"Au diable Ronsard et sa nostalgie, au diable Proust et son ciel de Combray, si singulier ce jour-là et à cette heure, au diable Platon et son Beau idéal, au diable le Vieux Continent et ses fantasmagories... Il n'y a de bonne modernité efficace et pratique, qu'une modernité amnésique.
Là où l'Europe, en quelques kilomètres, aligne des dizaines de monuments, de chefs-d'oeuvre, de témoignages précieux du génie humain, l'Amérique est un pays où l'on peut parcourir des centaines de miles sans rencontrer la moindre trace d'une oeuvre d'architecture ou de peinture. Il faut garder cette virginité, ce vide, cette pureté d'un lieu ou d'un objet qui offrent la liberté de n'avoir pas encore de sens. C'est du moins ce qu'affirmait, mot pour mot, le grand prêtre de l'art minimal des années soixante-dix, Barnett Newman.
" (pages 15).
barnett newman
Barnett Newman. "The Stations of the Cross", 1958-1966. "Thirteenth station" 1965-66. National Gallery of Art, Washington DC.
J'imagine que c'est le titre qui donne un sens, enfin, en partie. Quel talent ! (je plaisante, bien sûr). N'importe qui ne peut-il pas faire une toile pareille ? Et puis, franchement, c'est très pauvre, on en a vite fait le tour.

"En attendant, le musée public, celui qui se veut temple, forum, agora, lieu de culte et de pèlerinage, quelle forme lui donner ? [...]
La question se pose : hall de gare ou hall des machines [...] Glacière démesurée - façon Beaubourg ? Restoroute pour fastfood culturel ? Ou bien, en fin de course, réservoir aveugle de béton où empiler les oeuvres comme au Schaulager de Bâle, en attendant que, dans l'obscurité, comme blanchissent les endives, décuple leur valeur marchande ?
Cette fonction est la dernière apparue. Elle a le mérite au moins d'offrir à l'esprit, à défaut du sensible, le plaisir de l'intelligible, en imposant un sens et une utilité.
Le Schaulager de Bâle est un vaste Bunker de béton, édifié dans les faubourgs de la ville patricienne, qui abrite quelques milliers d'oeuvres d'« art contemporain » sélectionnées et calibrées comme des légumes d'élevage. C'est un établissement privé qui affirme n'être « ni un musée ni un entrepôt », mais pourtant se dédier « à la créativité et à la transmission de l'art contemporains ». De fait, c'est sa mission, mais elle l'accomplit sur un mode discret. Il ne se visite pas, sinon par autorisation spéciale, délivrée principalement à des professionnels du milieu de l'art. Cela explique qu'on en parle si peu, alors qu'il est devenu un rouage essentiel du marché. Il est à l'art ce que la banque est à l'argent, un saint des saints où quelques initiés décident des cours et des investissements.
" (pages 20-21).
schaulager
Le Schaulager à Bâle.

Jean Clair parle ensuite de la culture centralisée, non dirigée vers le peuple, qui est d'après lui une tradition française, contrairement à l'Allemagne du XIX° siècle qui, du fait d'une absence de pouvoir central, "continue de cultiver ce goût populaire ou petit-bourgeois, Häuslichkeit, Gemütlichkeit, Biedermaier." (page 31). Et de mentionner Adalbert Stifter et Fontane, "peu familiers chez nous".
Puis il aborde la création du Ministère de la Culture, en 1959, et la dérive vers la « communication », les « affaires ». (page 43).

Il critique l'étiquetage des oeuvres, "comme s'il s'agissait d'un coléoptère" (page 45), la banalisation, l'asceptisation, et finalement "l'oubli des conditions de sa naissance" (page 45).
C'est un problème qu'il développe plus loin (pages 111-119). "Que vaut-il mieux, d'un original qui, une fois déposé au musée, a perdu sa destination, ou de sa copie qui, en retrouvant la destination de l'original, finit par retrouver son sens ?"
Il parle des Noces de Cana de Veronese. L'original est au Louvre, et une copie est à Venise, exactement où l'oeuvre était, dans le réfectoire de San Giorgio Maggiore. "Que veut dire un vrai devenu faux ?" (page 111). La copie, effectuée avec les moyens les plus modernes, est exactement identique, aux plus petits accidents près. Or, on a le culte de l'"original", comme s'il y avait une aura spécifique de la main de l'Artiste... La copie exacte, qui se trouve là où elle a été conçue pour être, n'est-elle pas finalement plus vraie que l'original du Louvre ?
Il y a donc deux problèmes : celui de l'oeuvre qui prend ou perd de la signification à cause de son environnement, et celui de la reproductibilité (sujet encore plus délicat en ce qui concerne la photographie).
les noces de cana
Véronèse, Les Noces de Cana. 1562-1563. 666 cm × 990 cm. Musée du Louvre.

Pourquoi y a-t-il autant de monde dans les musées ? Et pourquoi faut-il emporter un ipod ou assimilé pour avoir autre chose dans les oreilles que les conversations stupides des gens ? (entendu devant une toile de Picasso de la période bleue : "tu vois, il a joué sur le bleu" ; bien sûr, eh banane ! Une mère explique à son enfant que Saint Sebastien est mort transpercé par des flèches, n'importe quoi ! - bon, c'est vrai que c'est une erreur courante - ... quand ce n'est pas le jeune homme qui raconte par le menu et très fort ses états d'âmes à une jeune fille : allez au café, pas à l'expo Redon !).

"Je reste perplexe devant ces foules innombrables patientant aux entrées des musées, attendant des heures le privilège incertain de franchir le seuil de ces garde-meubles précieux." (page 52). Alors que, dans le même temps "ces autres lieux du savoir que sont les écoles, les collèges, les lycées" semblent provoquer "du dégoût", ils sont à peine entretenus, "dégradés et comme promis à l'abandon".

"Ennui sans fin de ces musées. Absurdité de ces tableaux alignés, par époques ou par lieux, les uns contre les autres, que personne à peu près ne sait plus lire, dont on ne sait pour la plupart déchiffrer le sens, moins encore trouver en eux une réponse à la souffrance et à la mort. Morosité des sculptures qui n'offrent plus, comme autrefois, la statue d'un dieu ou d'un saint, la promesse d'une intercession. [..]
Les foules qui se pressent en ces lieux, faites de gens solitaires qu'aucune croyance commune, ni religieuse ni sociale ni politique, ne réunit plus guère, ont trouvé dans le culte de l'art leur dernière aventure collective.
" (pages 52-53)
"La multiplication de ces brimborions de l'art contemporain qui envahissent à présent les châteaux de Versailles et les palais de Venise, est à la modernité finissante ce que l'imagerie sulpicienne fut au christianisme moribond." (page 54).

J'aime bien : "Les décharges débordent pourtant, et faute de tout pouvoir brûler, on les multiplie.
Quand on ne peut plus les contenir, elles se déversent dans les musées et l'on en dispose quelques-unes dans les salles, sous la direction d'un artiste, pour les baptiser « oeuvres d'art »
" (page 63).

bolantski
Christian Boltanski, Monumenta. Grand Palais, 2010. Le roi est nu, voici de quoi l'habiller.

Jean Clair fait-il allusion notamment à l'"oeuvre" de Boltanski, les tas de vêtements au Grand Palais ? Là encore, à part dans la démarche, dans le baratin justificateur (c'est censé être une vanité monumentale, je crois), cette oeuvre est d'un vide sidérant (mais bien, sûr, on me dira qu'il faut la voir en vrai, ce que je n'ai pas fait ; je ne juge donc que d'après les photos). Je prends les vêtements de mon armoire, je les entasse et puis voilà. Bien sûr, je n'en ai pas assez pour faire un tas de plusieurs mètres.

Jean Clair parle ensuite de Jeff Koons. "Jeu spéculatif à l'accoutumée : des galeries et des intérêts privés financent une opération dont une institution publique comme Versailles semble garantir le sérieux, on gage des émisisons éphémères et à haut risque sur une encaisse-or qui s'appelle le patrimoine national." (page 66). Eh oui, il y a des enjeux financiers derrière. L'argent, les manipulations financière sont même le principal nerf de l'art contemporain.
C'est ce qu'il explique bien page 100 : "On noiera d'abord la créance douteuse dans un lot de créances un peu plus sûres. Exposons le veau de Damien Hirst près d'une oeuvre de Joseph Bueys, ou mieux de Robert Morris - oeuvres déjà accréditées, ayant la notation AAA ou BBB sur le marché des valeurs, un peu plus sûres que des créances pourrie." (page 100).
Damien Hirst va entrer dans un circuit de galeries "limitées en nombre et parfaitement averties, ayant pignon sur rue, qui sauront répartir les risques encourus. Ce noyau d'initiés, ce sont les actionnaires, finançant le projet, ceux qui sont là pour « éclairer », disent-ils, spéculateurs de salles de vente ou simples amateurs, ceux qui prennent les risques. Ils sont au marché de l'art ce que sont les agences de notation financière mondiale, supposés guider les investisseurs, mais qui manipulent en fait les taux d'intérêt et favorise la spéculation." Et puis, on s'arrange pour qu'une institution publique, un grand musée comme le Louvre, expose l'"artiste". Les galeries prendront discrètement en charge tout le coût de l'opération, et hop, l'artiste est consacré.
Eh oui, le taux de rentabilité doit être énorme et rapide, ce qui va à l'encontre de l'histoire (pensons par exemple aux toiles de Van Gogh, combien d'années il aura fallu pour qu'elles acquiert de la valeur ?) : acheter un artiste, c'était se faire plaisir, et penser que, à terme, il pourrait prendre de la valeur. Maintenant les acheteurs ont de moins en moins de plaisir avec leurs achats (un monochrome, un tas de vêtements ou de sable, un veau dans du formol... ou alors ils sont particulièrement pervers ?), c'est un investissement sur le court terme. Le tout est de ne pas être en possession de l'oeuvre lorsque le marché se retourne.

"Le grand défaut de la peinture, de la sculpture, c'est qu'elles ne sont pas drôles. [...] L'art plastique avait pour cette raison même échappé jusque-là à la culture festive dans laquelle notre civilisation croit connaître son accomplissement." (pages 67-68). "Puis sont apparus Versailles et Jeff Koons, le Louvre et ses bouffons. Sont apparues aussi les bandes dessinées appliquées au grand art. [...] Les musées se sont inventé une spécialité de ces échanges entre low culture et high culture. Plaisir de l'avilissement, reflet de ce que Proust eût appelé le snobisme de la canaille, propre aux élites en déclin et aux époques en décadence." (page 69).

jeff koons
Ici, un homard géant de Jeff Koons suspendu à Versailles. Ha ha, c'est trop fun.

Jean Clair dit ensuite qu'il parle d'art, des « beaux-arts»... mais que la danse, le chant lyrique, etc. se portent bien car il y a un "métier, une maîtrise du corps longuement apprise, une technique singulière, année après années enseignée et transmise. Or il n'y a plus ni métier ni maîtrise en arts plastiques. Il ne peut y avoir de master class en peinture, parce qu'il n'y a plus de maître." (page 80-81)



Un texte très intéressant, qui donne à penser : on n'est pas toujours d'accord avec lui. Par exemple, bien sûr, on a perdu nombre de clefs de lecture d'une oeuvre, mais le plaisir esthétique reste (parfois), et c'est important !

 



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