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Muriel BARBERY

(Casablanca, 1969 - )

muriel barbery

Professeur de philosophie.

Après Une gourmandise (2000), qui rencontre le succès, c'est L'élégance du Hérisson (2006), qui connaît un triomphe : plus d'un million d'exemplaires vendus. Et comme le film qui en est tiré sort en octobre 2009 (réalisé par Mona Hachache, avec Josiane Balasko), ça promet...

"Lauréate en 2008 de la Villa Kujoyama, elle vit actuellement à Kyoto.", nous apprend wikipedia. Ce qui veut dire que son prochain livre parlera certainement du Japon. Nouveau succès en perspective.


l'élégance du hérisson


L'élégance du hérisson. 356 pages. NRF. 2006


"- Marx change totalement ma vision du monde, m'a déclaré ce matin le petit Pallières qui ne m'adresse d'ordinaire jamais la parole.
Antoine Pallières, héritier prospère d'une vieille dynastie industrielle, est le fils d'un de mes huit employeurs. Dernière éructation de la grande bourgeoisie d'affaires – laquelle ne se reproduit que par hoquets propres et sans vices , il rayonnait pourtant de sa découverte et me la narrait par réflexe, sans même songer que je puisse y entendre quelque chose. Que peuvent comprendre les masses laborieuses à l'œuvre de Marx ? La lecture en est ardue, la langue soutenue, la prose subtile, la thèse complexe.
"

La narratrice, c'est Renée. Elle est concierge du 7, rue de Grenelle. Elle a cinquante-quatre ans.
Le ton est tout de suite donné : les riches sont décrits à grands coups de généralités et des clichés habituels : riches de gauche qui tâchent de se donner bonne conscience en faisant mine de s'intéresser à la concierge, riche qui consulte un psy (on aura une description ultra-caricaturale d'une séance), riches de droite qui ne se donnent même pas cette peine, enfants de riches de tous bords qui méprisent tout le monde, etc.

Déjà, ce terme, cette généralisation, "les riches", annonce une caricature.
Ainsi, lorsque le mari de Renée vient de mourir :
"Aux riches, il semble que les petites gens, peut-être parce que leur vie est raréfiée, privée de l'oxygène de l'argent et de l'entregent, ressentent les émotions humaines avec une intensité moindre et une plus grande indifférence." (page 75).
Sans rire. La réaction des riches, chez Barbery, c'est celle de Mme Aubain lorsque Félicité s'inquiète de son neveu (cf Flaubert, Un Cœur simple - lire Barbery ne dispense pas de Flaubert).
Les comportements des riches du livre semblent relever de l'imaginaire de l'auteur.

Mais n'allons pas trop vite.

Renée, donc. Elle est très cultivée, mais ne veut pas que cela se sache. Une concierge se doit de respecter tous les clichés du genre : poste de télé allumé en permanence, chat. Lorsqu'elle revient des courses, elle "exhibe complaisamment des victuailles de pauvre" (c'est-à-dire : jambon, foie de veau, paquet de nouilles et bottes de carottes). Le chat s'en régalera, tandis que, elle, peut se cuisiner des petits plats plus raffinés.
Pensez-y la prochaine fois que vous mangerez des nouilles. Ou des carottes, d'ailleurs.

En bref : René lit les grands auteurs (Tolstoï, pas Barbara Cartland), regarde Mort à Venise et est fan d'Ozu, mais tout le monde dans l'immeuble doit croire qu'elle n'est qu'une concierge comme une autre, c'est-à-dire : manquant totalement de culture et se nourrissant de nouilles et de carottes.
Pourquoi ? me demanderez-vous. Eh bien, c'est la faute d'un traumatisme enfantin que vous découvrirez par vous-mêmes. Enfin, si vous lisez le livre. Sinon, ce n'est pas grave. C'est tellement ridicule... Enfin...

Concernant la forme du roman, nous avons en alternance la narration de notre concierge et le journal d'une petite fille de l'immeuble – forcément une petite fille, c'est plus attendrissant qu'un petit garçon – intelligente et malheureusement fille de riches, la pauvre.
Fille de riches, ça veut dire que sa sœur est une imbécile et sa mère une quasi demeurée qui ne comprend rien à rien. Voici donc Paloma, 12 ans. La structure du roman ressemble à celle de Nekotopia, de Fujimori Asuka. Dans les deux cas une histoire pas crédible est entrelardées de considérations écrites par une petite fille surdouée.

Chez Barbery, la petite fille n'en peut plus. Etre fille de riches débiles, c'est trop dur. Elle décide de se suicider le jour de ses 13 ans. Ca réveillera peut-être ses parents. De plus, le monde n'a aucun sens, aucun but. Quel est l'intérêt de vivre plus longtemps dans un monde laid puisqu'à la fin tout le monde meurt, il n'y a plus rien, rideau ?
Les Pensées Profondes et le Journal du mouvement du monde, qu'écrit la petite fille, c'est ça. Mille et une occasions de nous dire que le monde n'a aucun sens (au cas où le lecteur n'aurait pas bien compris ; la répétition est à la base de l'enseignement, et n'oublions pas que Muriel est prof), que les Autres sont idiots, alors qu'elle, intelligente, cherche un peu de beauté dans ce monde. En trouvera-t-elle ? Saura-t-elle percevoir la beauté de ce monde et renoncer à son acte ? Ah la la, quel suspens !

On a donc une énième apologie des fameux petits riens qui sont toujours censés impressionner le lecteur. "Trois fois rien, c'est déjà quelque chose", disait Devos. Dans le cas qui nous occupe, je n'en suis malheureusement pas sûr.
En plus, la petite fille parle parfois comme Philippe Sollers : "[…] personne ne semble avoir songé au fait que si l'existence est absurde, y réussir brillamment n' a pas plus de valeur qu'y échouer." (page 21). Cela veut donc dire que, en plus d'être intelligente, la fifille est imbue d'elle-même, ou alors pas si intelligente que cela si elle croit vraiment que personne n'y avait pensé avec elle.

Mais soyons plus factuels.

C'est agréable de lire quelqu'un qui sait qu'on dit "une espèce" et pas "un espèce". Peut-être, grâce au livre, entendra-t-on moins souvent ces fautes.
De plus, elle sait qu'il ne faut pas placer la virgule entre le sujet et le verbe, ce qui n'est pas le cas de tout le monde (prenez par exemple le texte français de Le Fleuve Sacré, de Endô).

Plus globalement, que vaut le style ?
Passable, avec quelques passages qui auraient mérité d'être retravaillés (ou relus ?), surtout quand on se pique de savoir mettre des virgules où il faut.
Exemple, page 31 (attention, prendre sa respiration avant de commencer à lire) :
"Certaines personnes sont incapables de saisir dans ce qu'elles contemplent ce qui en fait la vie et le souffle intrinsèques et passent une existence entière à discourir sur les hommes comme s'il s'était agi d'automates et sur les choses comme si elles n'avaient point d'âme et se résumaient à ce qui peut en être dit, au gré des inspirations subjectives".
C'est vraiment laid. Ce n'est pas en lisant des trucs pareils que la petite fille déciderait de ne pas commettre son acte irréparable. Que quiconque vante le style de Barbery essaye de lire cette phrase à haute voix.

Concernant le fond, maintenant. Les considérations profondes de la petite fille sont relativement courtes et sans grand intérêt (la vie n'a aucun sens… oui, on sait), mais le pire, ce sont les considérations profondes de la concierge. C'est loooong.
Exemple :
"Parfois, cependant, la vie nous apparaît comme une comédie fantôme. Comme tirés d'un rêve, nous nous regardons agir et, glacés de constater la dépense vitale que requiert la maintenance de nos réquisits primitifs, nous demandons avec ahurissement ce qu'il en est de l'Art. Notre frénésie de grimaces et d'oeillades nous semble soudain le comble de l'insignifiance, notre petit nid douillet, fruit d'un endettement de vingt ans, une vaine coutume barbare, et notre position dans l'échelle sociale, si rudement acquise et si éternellement précaire, d'une fruste vanité. Quant à notre descendance, nous la contemplons d'un œil neuf et horrifié parce que, sans les habits de l'altruisme, l'acte de se reproduire paraît profondément déplacé." (pages 100-101). etc.
Bref, c'est une critique ultra-bateau de la société de consommation et de la vanité de la position sociale.

Et ses considérations sur l'art…
"En dépit de la diversité des sujets, des supports et des techniques, en dépit de l'insignifiance et de l'éphémère d'existences toujours vouées à n'être que d'un seul temps et d'une seule culture, en dépit encore de l'unicité de tout regard, qui ne voit jamais que ce que sa constitution lui permet et souffre de la pauvreté de son individualité, le génie des grands peintres a percé jusqu'au cœur du mystère et a exhumé, sous diverses apparences, la même forme sublime que nous cherchons en toute production artistique. Quelle congruence entre un Claesz, un Raphaël, un Rubens et un Hopper ?" (page 216-217).
On notera le caractère douteux (ou novateur ?) de l'emploi de "congruence". Et puis, pourquoi ne serait-on que d'une seule culture ? Et le Greco, par exemple ?
Mais si le passage vous a impressionnés, courez acheter le bouquin. Vous en aurez pour votre argent, car l'auteur n'est pas avare de ces "réflexions".

L'analyse d'une nature morte est impressionnante, elle aussi. La "disposition des objets et des mets atteignait à cet universel dans la singularité : à l'intemporel de la forme adéquate" (page 217).
Une demi-page pour en arrive à ceci : si la nature morte de Claesz est admirable, c'est parce que les objets sont disposés de sorte d'avoir la forme adéquate.
Brillant. Copiez-collez le passage, il est réutilisable à l'infini, pour toutes les natures mortes, mais aussi pour toutes les compositions picturales en général. En gros : pourquoi cette nature morte est admirable ? Parce que. C'est un cas typique de fausse réflexion, de fausse profondeur.

Après de nombreux passages sur l'Art, particulièrement ennuyeux - mais cela n'engage que moi, bien sûr - on a droit à une chouette phrase (après un retour à la ligne, ça en impose toujours) : "Car l'Art, c'est l'émotion sans le désir".
Ben voyons. La phrase qui tue.
En une copie double maximum, vous prouverez que la phrase "Car l'Art, c'est l'émotion dans le désir" est également vraie.
Encore de la fausse profondeur. Plus que de la réflexion, c'est une pirouette.


Bon. Muriel Barbery parle aussi d'Ozu. D'accord, c'est un immense réalisateur. Mais pourquoi en faire un cas particulier ? La concierge s'extasie sur les portes coulissantes, tout ça. Comme s'il n'y en avait que chez Ozu qu'il y en avait. Et Naruse, Mizoguchi ? Pas une ligne. Est-ce pour que le lecteur ne s'embrouille pas avec tous ces noms ?

"Dans les films d'Ozu, on ne compte pas le nombre de plans où un acteur pousse la porte, entre au foyer et se déchausse." (page 163).
Ah, tiens... au passage, on aura remarqué que la narratrice en a oublié que les portes coulissent, et ne se poussent pas. L'émotion, sans doute.
Deux lignes plus loin, ouf, les portes glissent de nouveau. L'ordre du monde nippon est revenu. Aucun correcteur ne l'a remarqué. Ils s'étaient peut-être tous endormis.

A propos de se relire, il y a un passage très étrange. Il se situe dans la Pensée profonde n°10.
Alors que jusque là Paloma avait toujours écrit un français impeccable, on lit "Notre prof d'histoire, M. Lermit, il a su nos emballer en deux cours en nous montrant…" Cela arrive comme un cheveu sur la soupe, en totale contradiction avec tout ce qu'elle avait écrit avant, et tout ce qu'elle écrira par la suite. Pourquoi ce parler, soudain ? C'est sans doute un détail, mais il nuit vraiment. Enfin, ce n'est pas comme si l'on croyait vraiment dans le personnage de la gamine...

Lire "Vous seriez surpris de ce que se disent les petites gens. Elles préfèrent les histoires aux théories, les anecdotes aux concepts, les images aux idées. Cela ne les empêche pas de philosopher." (page 173), je trouve ça méprisant. C'est être comme les "riches" dénoncés plus haut, qui font mine de s'intéresser aux petites gens pour se donner bonne conscience. C'est condescendant.
A moins que cela ne représente un idéal de vie.
On peut en effet lire, à la fin de la Pensée profonde n°11 : "Kakuro parlait des bouleaux et, en oubliant les psychanalystes et tous ces gens intelligents qui ne savent que faire de leur intelligence, je me sentais soudain plus grande d'être capable d'en saisir la très grande beauté." (page 180).
A bas l'intelligence et la pensée, il faut sentir les choses.
On en revient à la pauvre philosophie Disney : "suis ton cœur".
Mais qui est Kakuro, me demanderez-vous ? Un Japonais qui vient d'emménager dans l'immeuble. Le genre de hasard qui sont des habitudes dans les bouquins. Parlez d'Ozu, un Japonais rappliquera tout aussitôt.

Un Japonais d'ailleurs pas très au fait des coutumes de son pays, vu qu'il trinque avec du saké, ce qui ne se fait pas (sauf erreur de ma part). Mais peut-être Muriel Barbery ne le savait-elle pas. Ceci dit, peut-être cette tradition est-elle en train de disparaître, à force de voir des occidentaux trinquer.

Par contre, vers la fin, ça vire au n'importe quoi.

Deux exemples :

1/ page 263 : "[…] Paloma, qui est si discrète et diaphane que je crois bien ne la voir jamais, quoi qu'elle se rende chaque jour à l'école."
Euh… Excusez-moi, mais avez-vous oublié la page 17 ? Celle qui dit que le fameux mécanisme à infrarouge "m'avertit désormais des passages dans le hall […] par l'œil-de-bœuf sis face aux escaliers, cachée derrière la mousseline blanche, je m'enquerrais discrètement de l'identité du passant."

Quelqu'un a-t-il relu correctement ce livre ? Ou bien la petite fille escalade-t-elle la façade et descend-elle en rappel ? Ca n'a choqué personne ?

2/ page 301 : "C'est la mort de Didon, dans le Didon et Enée de Purcell. Si vous voulez mon avis : la plus belle œuvre de chant au monde. Ce n'est pas seulement beau, c'est sublime et ça tient à l'enchaînement incroyablement dense des sons, comme s'ils étaient liés par une force invisible et comme si, tout en se distinguant, ils se fondaient les uns dans les autres, à la frontière de la voix humaine- mais avec une beauté que des cris des bêtes n'atteindront jamais, une beauté née de la subversion de l'articulation phonétique et de la transgression du soin que le langage phonétique met d'ordinaire à distinguer les sons."
Ca s'appelle du verbiage pseudo littéraire. De la poudre aux yeux qui n'impressionnera que si on ne réfléchit pas. Encore une fois, nous sommes en présence d'une fausse profondeur.
Car c'est une analyse bidon : elle s'appliquerait uniformément, sans en rien changer (comme la fausse analyse de la nature morte), à quasiment n'importe quel air de n'importe quel opéra. Analysons la phrase. Que veut-elle dire exactement ?
Il y a un enchaînement dense de sons (ben… c'est un orchestre qui joue), liés par une force invisible (ben oui, c'est le compositeur qui les a assemblés, les sons) et c'est plus joli que ce que chantent les bêtes (même les oiseaux ?), beauté née de la subversion de l'articulation phonique (on ne chante pas comme on parle, scoop).
Bref, c'est consternant. Mais le pire, c'est qu'elle a mal choisi, parce que pour du Bellini ou nombre de compositeurs, je veux bien, mais pour ce passage de Didon et Enée (que l'on peut écouter sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=4eyfwaaD8k ) parler d'enchaînement dense des sons, je suis scié.
Ou alors, ça va faire une nouvelle pensée profonde : "on n'entend pas tous la même chose". Si ça se trouve, personne n'y avait pensé.

En conclusion, un roman à lire juste pour tenter de comprendre pourquoi il s'en est tant vendu et pourquoi tant de gens le trouvent magnifique, profond, bien écrit... ou pour se dire qu'on n'a pas tous les mêmes goûts littéraires. Sans doute que personne n'y avait pensé (Nouvelle Pensée profonde...).


Si l'on veut lire un livre d'un prof de philosophie qui tient beaucoup plus la route, on pourra se tourner vers Train de Nuit pour Lisbonne, de Pascal Mercier.


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