Littérature Japonaise
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(Kôriyama, Préfecture de Fukushima, 11/06/1966 - ) Furukawa Hideo est né en 1966. Il s'intéresse très tôt au théâtre. A 18 ans, il part à Tokyo pour étudier la littérature à la fameuse Université Waseda. Il quitte l'Université sans avoir fini son cursus et commence à travailler dans une maison d'édition. Pour plus de détails (en anglais) sur Furukawa et son oeuvre, on pourra lire une étude sur : http://arizona.openrepository.com/arizona/bitstream/10150/144389/1/azu_etd_11622_sip1_m.pdf
Alors Belka, tu n'aboies plus ? (Beruka hoenainoka ?, 2005). Roman traduit du japonais par Patrick Honnoré en 2011. Editions Philippe Picquier. 382 pages. Ce gros roman se déroule aux Etats-Unis, au Mexique, en Union Soviétique et en Russie (car on a droit à un livre à grande échelle dans l'espace et le temps), au Japon, en Afghanistan... En gros, le lecteur suit deux histoires : celle de quelques chiens-soldats et de leurs descendants (enfin, quelques uns de leurs descendants), essentiellement à partir de 1943 ; et une autre histoire, post-soviétique celle-ci. D'ailleurs, c'est avec cette dernière que commence le roman (pour accrocher le lecteur avec un thème plus familier ?). Dès le chapitre suivant, on a entamé l'autre histoire, ou plus exactement une des nombreuses autres histoires. Ça fait un peu poseur, et c'est le début des explications historico-politiques. On aura droit à de longs, très longs passages, dans la deuxième moitié du roman. Mais au début, ça va. C'est comme dans un film d'action. Efficace. Les phrases courtes. Les onomatopées. Dans ce passage, il y a beaucoup de phrases courtes, mais pas de retour à la ligne. On apprend aussi comment améliorer la race des chiens de traîneaux. Quand on lit que Furukawa se considère comme le plus fervent disciple de Murakami Haruki, on se dit, bon, pourquoi pas ? mais quand vient la suite : "tout en revendiquant l'influence de Garcia Marquez et de Borges", on reste plus perplexe. Tout roman qui multiplie les personnages peut se revendiquer de Garcia Marquez... et quant à l'influence de Borges, je ne l'ai pas vue dans ce roman (même en mettant de côté le fait que Borges n'a jamais écrit de roman). A part ça, iI y a quelques petites fautes dans le texte, mais pas très nombreuses ("Il prenait vraiment la pause d'un boxeur", page 280 ; "les agents de S étaient acceuillent ce slogan", page 350...). Sentiments partagés sur ce livre, donc : il y a de bonnes scènes, du mystère, de l'originalité, mais aussi des longueurs, des facilités (le côté cartoon ou film hollywoodien pan-pan boum-boum ; la mafia, etc.), et le style lasse un peu, comme un disque écouté à fond : on voudrait parfois diminuer le volume. On peut lire les 24 premières pages sur le site de Philippe Picquier, ici pour se faire son idée.
- L'Horrible homme-oiseau. Nouvelle tirée du recueil "gift" Shûeisha, 2004. Première parution dans « Shôsetsu Subaru », mai 2002. Traduction de Patrick Honnoré. Meet n°11 "Tokyo/Luanda". (pages 85 - 89) "Je ferai en premier lieu son portrait physique. Son bec est extrêmement long. Assez recourbé, il s'allonge vers le bas. Le crâne chauve, tout à fait comme s'il s'était mis une serviette sur la tête. Deux yeux, comme nous autres, deux trous noirs. À la racine du bec (c'est bien comme ça qu'on dit ?) il y a deux fentes qui font comme un nez, et c'est de là qu'il pousse ses cris. Enfin je crois." (page 85). On comprend donc rapidement (dès la première page) qu'il s'agit d'un affrontement entre collégiens. On découvrira ses règles...
- O chevaux, la lumière est pourtant innocente (Umatachi yo, Soredemo hikari wa wuku de, 2011). Traduit en 2013 par Patrick Honnoré. Editions Philippe Piquier, 155 pages. Furukawa est né à Fukushima. "A force de scruter les images à la télé, mes globes oculaires commençaient à se dessécher. Alors vint une humidité à renverser les digues. Les larmes. Les larmes qui coulaient à flots. Combien de fois par heure ? Je n'ai pas pu vérifier. Parce que l'unité de temps « heure» n'existait plus. La journée ne faisait plus vingt-quatre heures. Les publicités avaient disparu de la télé. Il n'y avait plus de coupures. [...] Pour dire cette expérience en un mot, le temps avait disparu. Concrètement : disparue, la conscience du jour que l'on était, absent, le sentiment du lendemain. Je peux mettre un nom sur cette expérience : c'était le temps du kamikakushi, l'« enlèvement par les dieux ». Quand on est enlevé par les dieux, une demi-année peut passer comme une semaine, quelques secondes ou dizaines de secondes passent comme trois mois. le temps n'est plus ordonné." (page 8). Vient un sentiment de culpabilité : "Pourquoi ne fais-je pas partie des victimes ?" (page 30). Puis : "J'entends une voix. Vas-y. Va te faire irradier. Ou va voir, au moins. Je suis né dans la région de Nakadôri, département de Fukushima. Il faut que j'aille à Hamadôri. Sur un atlas, il trouve l'indication : "Le couloir de Hamadôri est la « Ginza » des centrales nucléaires." (page 42). C'est une façon de présenter les choses assez sciante, il faut bien l'avouer. Sans doute, mais ça a plus de classe... Plus tard : "Les bulldozers raclent la cour de mon école. La défoncent." (page 122). Le livre se termine sur ce qui est sans doute de la fiction, une histoire de cheval et de vache. Peut-être un cap a-t-il été franchi par l'auteur, et peut-il de nouveau écrire de la fiction, après avoir, comme un disque rayé, buté sur un livre déjà écrit, la Sainte Famille, dont il parle encore et encore.
Pour finir, quelques extraits d'une interview donnée à La Croix, à l'occasion du Salon du Livre en 2012 : H. F. : Oui, je suis contre, c’est honteux ce qui s’est passé à Fukushima mais c’est difficile de crier simplement « À bas le nucléaire ! », cela ne suffit pas. Le Japon ne peut pas vivre sans nucléaire pour le moment à moins d’accepter de vivre moins bien. J’espère que les centrales seront arrêtées un jour mais cela prendra du temps, au moins dix ans ! Mais les Japonais ne veulent pas perdre ce qu’ils ont. Bien sûr dans les zones sinistrées les gens ont tout perdu, et c’est peut-être de là, autour de Fukushima, qu’un nouveau modèle sans nucléaire pourra peut-être voir le jour et se répandre dans le reste du pays. H. F. : Le temps du roman est lent, écrire prend du temps, lire prend du temps, à la différence du journalisme, il faut penser l’écriture sur au moins vingt ans. Moi, en tant que citoyen, je m’exprime maintenant mais en tant qu’écrivain je veux écrire pour les enfants de Fukushima qui dans quinze ou vingt ans me liront, et leur donner la force et l’espoir pour avancer. J’ai fait les deux, j’ai déjà écrit après la catastrophe pour les gens de Fukushima mais je dois penser dans une autre dimension temporelle, lointaine."
- Soundtrack (2003). Traduit en 2015 par Patrick Honnoré. Editions Philippe Picquer. 619 pages. Ce roman commence par un chapitre "0". Le roman baigne dans une atmosphère de fin du monde, ou du moins de fin du monde que l'on connaît. Comme à son habitude, l'écriture de Furukawa n'est pas léchée. Sa voix est toujours présente, comme s'il nous racontait l'histoire. Pour renforcer cette impression orale, il utilise des onomatopées, par exemple : "Sluuurp...[...] Et franchement, je ne vois pas comment en donner une meilleure image que par l'onomatopée « sluuuurp »." (page 282) ; "Et paf ! Ils la voient danser." (page 451) Rarement, dans un livre, on aura vu une telle différence de taille entre des chapitres. 100 pages pour le chapitre 0 de la deuxième partie (qui n'est même pas appelée "partie", on passe du chapitre 17 au chapitre 0 après une page blanche), 5 lignes pour le chapitre 2. Parfois, le livre est un peu long, notamment les descriptions géographiques (par exemple, page 465). Mais je suppose que cela "parle" plus au lecteur japonais qu'au lecteur français qui ne maîtrise pas la topographie tokyoïte. De façon générale, Furukawa aime beaucoup la précision. "Passée la passerelle piétonne, le pont Furukawa, le pont Kamon, le pont Hanamizu, il se dirigeait vers l'avenue Mejiro" (page 579). Tiens, on trouve ici un pont qui a le nom de l'auteur ! C'est un bon roman original, dans lequel on trouve de l'anticipation - sociale et climatique -, mais aussi des peuples et des légendes (notamment lié au chamanisme) venus de très loin dans le passé (la rencontre des deux dynamitant en quelque sorte le présent). On pourra lire les 55 premières pages sur : http://www.editions-picquier.fr/catalogue/fiche.donut?id=1007&cid=
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Adaptations au cinéma :
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