- dictées
- listes
- liens recommandés
-> retour Japon <-
retour
page d'accueil
|
Tawada Yoko
(Tokyo, 1960 - )
Née à Tokyo en 1960. Après avoir vécu plusieurs années à Hambourg (à partir de 1982), Tawada Yoko vit à maintenant (depuis 1986) à Berlin.
Elle écrit (des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, de la poésie) en japonais et en allemand mais, contrairement à Nancy Huston, par exemple, elle ne se traduit pas.
Elle a reçu de nombreux prix importants : Gunzo (Sans Talon, 1991), Akutagawa (Le mari était un chien, 1993), Tanizaki (Train de nuit avec suspects, 2005), Médaille Goethe.
- Train de nuit avec suspects (Yôgisha no yakôressha, 2005 ; 138 pages, Verdier, traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Bernard Banoun). Prix Tanizaki.
Il s'agit d'un texte curieux écrit essentiellement à la deuxième personne, ce qui donne un effet intriguant.
Par exemple, page 63 : "".
Le livre est composé de treize parties distinctes, ou "voitures" (chacune intitulée "Destination..." : Destination Paris, Graz, Zagreb, Bombay...), qui se raccrochent parfois assez bien, parfois pas du tout : les époques se mêlent, les identités (notamment sexuelles) se brouillent. On apprend néanmoins quelques éléments biographiques concernant le personnage principal, une danseuse de danse contemporaine.
Quelle est la logique entre les différentes parties, y a-t-il une progression ?
Un passage semble faire allusion au livre lui-même : "" (page 96)
Au début, la danseuse s'invente (consciemment ou non) des histoires, brode volontairement pour s'occuper (parfois, elle dort très bien dans le train de nuit, parfois pas du tout) : il y a par exemple l'histoire de Véga et Altaïr, noms qu'elle donne à un couple (adultère ?) rencontré à Donaueschingen après le festival de musique contemporaine (au passage, Donaueschingen, les trains de nuit, la source du Danube... raviveront quelques souvenirs à tous ceux qui ont fait leur service militaire dans la région...), l'histoire du café en Yougoslavie, etc.
Il y a aussi un début d'histoire volontairement frustrant pour le lecteur (l'histoire de la contrôleuse et de la femme en robe noire, dans la voiture 8), immédiatement compensé par une histoire racontée en détails, celle de M. Beck : "" (page 89). Et justement, en ce qui concerne les détails, l'auteur caractérise essentiellement un personnage par un détail qui semble l'emporter sur tout le reste, qu'il s'agisse d'un détail physique (ongle...) ou vestimentaire ("", page 91).
Ce système (utilisé d'une façon extrême par Zamiatine dans Les Insulaires - et à ce propos Tawada a étudié la littérature russe) permet de dépersonnaliser, théâtraliser, donner un aspect qui paraît trop simple, comme s'il y avait quelque chose à cacher... l'effet d'un être en deux dimensions dans un monde qui en a trois (au moins).
Après les histoires rapportées par des gens rencontrés au gré des voyages (le M. Beck, donc, mais également une comédienne, Mimi), arrivent les histoires narrées par d'autres "médias" : le cinéma (un film d'Hitchcock, évidemment Une Femme disparaît, dans la voiture 10 ; à noter qu'à la fin de cette partie, la danseuse voit apparaître des plantes bizarres, et la voiture suivante s'intitule "Destination Amsterdam"... transition humoristique, sans doute !), un livre (voiture 11)... et puis là, à la voiture 12, l'auteure donne quelques explications au lecteur... qui essaiera de réinterpréter ce qu'il a lu auparavant à la faible lueur qui lui a été donnée. Et d'enchaîner sur un dernier wagon très curieux et entièrement dialogué...
Le texte est comme un quai observé par un passager d'un train qui ne fait que passer : une vignette aperçue, un fragment d'histoire dont le début peut manquer et dont on ne connaîtra sans doute jamais la fin, à moins qu'on en ait assez vu pour la deviner...
La quatrième de couverture nous apprend que Yoko Tawada "est venue pour la première fois en Europe en 1979 par le Transsibérien".
- Voyage à Bordeaux (Schwager in Bordeaux, 2009 ; 125 pages, Verdier, traduit de l'allemand par Bernard Banoun).
Le livre commence ainsi :
"" (page 7).
Yuna est une Japonaise qui vit et travaille à Hambourg. Elle arrive à la gare de Bordeaux. Là, elle cherche Maurice, le beau-frère d'une amie (même si ".", page 8), qui va s'en aller en Asie pour deux mois (Schwager, en allemand, cela veut dire "beau-frère" ; le titre français est meilleur, il fait s'interroger sur la notion de voyage, réel et mental). Yuna pourra donc loger dans sa maison pendant son absence.
Yuna ne connaît pas le français, le beau-frère ne connaît pas l'allemand ni le japonais, ils communiqueront donc en anglais. La différence entre les langues, la façon d'appréhender le monde à travers le langage, leurs spécificités, la connotation particulière de chaque mot, sont les thèmes principaux du livre, qui est appelé "roman" - mais qui, en fait, est plus un ensemble d'histoires, de souvenirs, d'associations d'idées et de réflexions qui viennent à l'esprit de Yuna.
"" (page 18)
Yuna a toujours avec elle sur petit bloc-notes, et y inscrit un idéogramme.
"A (page 19).
"" (page 47). Ainsi, dans le livre, chaque paragraphe commence par un kanji. Peut-être le paragraphe qui suit le kanji est-il le résultat du désentortillement. En tout cas, cela accentue l'effet de fragmentation, car chaque paragraphe est une entité à part. On passe plus naturellement d'une pensée ou d'un souvenir à l'autre que si les paragraphes se suivaient sans vraie sépération.
Il y a parfois de très jolies images, une vision originale du monde :
"." (pages 72-73).
Il ne se passe quasiment rien (et la quatrième de couverture résume tout ce qui arrive en quelques heures à peine) dans l'histoire "principale", mais le livre contient une multitude d'histoires périphériques, de souvenirs, de réflexions sur le sens des mots, la vision - et le ressenti - de la réalité à travers une langue. Les situations les plus banales sont souvent perçues comme lorsqu'on lit avec attention et lenteur le texte d'une langue que l'on ne maîtrise pas : il y a un sentiment d'étrangeté - ou d'altérité - , le sens n'est jamais totalement sûr, on dévie sur des racines, des associations. Et pourtant, le point de vue reste très extérieur, le livre semble narré par une voix "off", un narrateur qui n'aurait pas d'empathie particulière pour Yuna, qui ne ferait que dire ce qui est.
Très singulier, très bien.
A titre anecdotique, on note un étrange "Astral Boy" (page 92), au lieu de "Astro Boy" (il s'agit du héros d'Osamu Tezuka). Le livre étant traduit de l'allemand, on ne peut pas imaginer d'erreur de traduction (il porte le même nom en allemand). Il doit y avoir une autre raison, mais laquelle ?
- Journal des jours tremblants. Après Fukushima précédé de Trois leçons de poétique. Traduit de l'allemand par Bernard Banoun en 2012. (« Franchir la barrière de Shirakawa » traduit du japonais par Cécile Sakai). Verdier. 117 pages.
1/ Trois leçons de poétique.
Première leçon : Les croyants traduisent
Le thème général est la différence de perception entre les Japonais et les Européens du point de vue langue, conception du monde...
"[...] " (page 23)
"" (page 24).
Tawada parle aussi du problème de la traduction de la notion d'amour chrétien dans un monde bouddhique, que ce soit le Petit Véhicule ("", page 26) ou le « Grand Véhicule » : "" (page 26).
Plus loin, conséquence culturelle : "" (page 27).
Elle parle aussi du film Lost in translation : "" (page 29)
En effet, ils voulurent traduire la Bible...
Une "leçon" intéressante, bien dans la lignée de ce que l'on aime chez Tawada.
Deuxième leçon : Les marchands traduisent.
Cette partie prend pour thème principal les marchands néerlandais qui, au Japon, furent cantonnés sur l'île de Deshima entre le XVII° et le XIX° siècle.
Tawada commence par parler de l'afrikaans, la langue parlée notamment en Afrique du Sud.
"" (pages 38-39)
Puis, elle parle d'Hector Pieterson, jeune garçon de douze ans tué - parmi des centaines de morts - pendant le soulèvement des écoliers à Soweto en 1976 (une loi devait imposer l'usage de l'afrikaans au lieu de l'anglais).
"" (page 42).
Faut-il vraiment chercher une résonance culturelle picturale ? Est-ce que toute femme portant son fils mourant ne ressemble pas à une pietà ? Et est-ce que toute photo de femme portant son enfant mort n'est pas à même de susciter la pitié, sans même aucune référence à Michel-Ange ? Généralement, nous sommes plus émus par ce qui peut arriver aux hommes qu'aux animaux, je crois...
Juste avant, Tawada écrivait "" (page 41). Elle n'a pas eu le temps de vérifier ses sources ?
Bref, tout ce passage n'est pas le meilleur du livre, mais il permet d'aborder le problème de la langue de l'oppresseur. En effet, la langue anglaise, contrairement à l'afrikaans, n'est pas considérée comme telle par les Noirs Sud-Africains.
Et l'on revient au Japon, car Tawada enchaîne sur une différence de comportement entre les Néerlandais et les Britanniques vis-à-vis des Japonais. Les Anglais "" (page 43).
Avec les négociants arrivent les livres de science, l'art de la traduction... Et on apprend que "" (page 47).
Les Néerlandais au Japon étaient donc cantonnés à Deshima. Lorsqu'il y avait des décès, ils n'avaient même pas le droit d'être ensevelis en terre japonaise, il fallait leur faire des funérailles maritimes, et ce jusqu'en 1654.
"" (page 52).
"" (page 52).
Troisième leçon : La modernité traduit
Tawada parle principalement de la période qui suivit l'arrivée des quatre bateaux "noirs" - car goudronnés - du Commodore Matthew Perry en 1853.
Il fallait aux Américains une base de pêche pour la chasse à la baleine."" (page 64).
Les "navires noirs" de Perry. A droite, une vision un peu... exagérée ?
Tawada parle longuement d'une pièce de Yûzo Yamamoto, traduite en anglais, lue par Brecht, qui écrivit La Judith de Shimoda, puis enchaîne sur Puccini, Madame Butterfly...
Je retiens une anecdote :
"" (page 71).
C'est sans doute la "leçon" la moins intéressante.
2/ Journal des Jours tremblants. Il s'agit de textes publiés dans plusieurs journaux d'Allemagne et de Suisse alémanique en mars 2011. Un des textes a été écrit en japonais en juillet 2011 et est également disponible dans l'Archipel des Séismes, chez Picquier.
Tawada était en Allemagne lors du tremblement de terre du 11 mars 2011.
"" (page 91).
Elle parle du fait que, pour elle, les informations insistent beaucoup sur les problèmes des coupures de courant, plus que du problème de la radioactivité. Ce texte est à mettre en parallèle avec Ce n'est pas un hasard, de Sekiguchi Ryoku, où l'on peut lire, page 134 : ""...
Fukushima, unité 4, 24 mars 2011 ; deux affiches incitant à économiser l'électricité.
"" (page 94)
D'une façon un peu similaire, Sekiguchi Ryoku parlait - si je me souviens bien - d'architectes qui se prenaient à rêver d'un tremblement de terre qui endommagerait tellement Tokyo qu'il faudrait en reconstruire une bonne partie : quel terrain de jeux fascinant pour eux...
A propos d'un auteur japonais habitant à Fukushima : "" (page 97-98)
Là encore, le thème de la lecture face aux drames est présent chez Sekiguchi.
Beaucoup d'Allemands, spontanément, mettent leur appartement à la disposition de la famille de japonais qu'ils connaissent, alors que cela ne va pas de soi pour les Japonais eux-mêmes : "" (page 98).
Tawada parle aussi des Notes de ma cabane de moine (1212), le texte de Kamo no Chômei, à propos de ses descriptions de catastrophes naturelles... Le grand incendie de 1177 qui détruisit le tiers de Kyoto... les tornades géantes qui survinrent trois ans plus tard, puis deux années de famine...
"" (page 102).
Elle parle également de Tanizaki, qui avait la phobie des séismes. Il en connut un assez important en 1894 ; puis, sa maison de Yokohama, conçue pour résister aux séismes, fut détruite par le feu en 1923 ; il déménagea alors à l'ouest du Japon, où il subit une grande inondation en 1938. "" (page 103).
Pareil : c'est une scène tellement frappante...
"" (page 103).
Elle explique aussi que les hélicoptères n'ont pas largué de vivres aux gens bloqués, tout simplement parce qu'"" (page 110).
Globalement, ce sont des textes intéressants, avec bien sûr des hauts et des bas, qui ne seront pas les mêmes selon les lecteurs et leurs centres d'intérêts.
Ils relèvent plus d'idées, d'anecdotes qui amènent à d'autres considérations, que d'une thèse construite (ce qui s'explique bien sûr dans le Journal des jours tremblants). Ils sont donc assez hétérogènes, on passe d'un sujet à l'autre, sans que l'on sache vraiment où l'on va, mais cela n'a finalement pas d'importance.
Petite annexe sur les tremblements de terre.
" " (Wikipedia).
Lorsque le dieu qui le maintient relâche son attention, c'est le tremblement de terre !
Des victimes d'un tremblement de terre se vengent sur le poisson-chat responsable (Période Edo)
1/ Des poissons-chats aident les victimes ; 2/ Des poissons-chats et des ouvriers font la fête dans le quartier de Yoshiwara
On trouvera plus de reproductions et d'explications (en anglais) sur http://pinktentacle.com/tag/yokai/
- Opium pour Ovide (Opium für Ovid, 2000). Traduit de l'allemand par Bernard Banoun en 2002. Editions Verdier. 201 pages.
Le livre est composé de vingt-deux histoires qui mettent chacune en scène un personnage féminin ayant un nom latin (et ce, même si les histoires se déroulent à Hambourg, de nos jours) : Léda, Galanthis, Daphné, Latone, Scylla, Salmacis, Coronis, Clyméné... Les textes ne sont pas totalement étanches les uns par rapport aux autres : ainsi, certains personnages apparaissent ou sont évoqués dans plusieurs histoires.
Voici le début du texte Léda :
"" (page 7).
Le rapport direct, physique, avec la Léda de l'antiquité est assez clair (mais quel sens a-t-il ?). Ce ne sera pas toujours aussi évident dans d'autres textes.
Et, même dans cette Léda, la signification de ce qui suit n'est pas évident. Il n'y a jamais de "vraie" histoire, les textes sont constitués de fragments posés les uns à côté des autres, comme des vignettes, qui ne cherchent pas à forcément à éclairer le reste.
Tout est décrit de façon analytique, détachée, sans émotion ni pathos : ce sont des faits exposés. Cela n'empêche pas ces faits de parfois confiner à l'absurde. Par exemple dans le texte intitulé Clyméné :
"" (pages 84-85).
Il y
a ainsi des thèmes récurents chez Tawada (au-delà, ici, du thème de la métamorphose, du changement) : le problème des langues, du sens des mots ; la place des gens qui habitent un pays ou une langue qui ne sont pas les leurs depuis leur naissance.
Certaines formulations, certaines idées anticipent sur Gonçalo M. Tavares. Par exemple, voici le père de Sémélé, un dentiste qui aime arracher des dents (cela rapporte) :
"" (page 135).
Les textes baignent dans une atmosphère très curieuse, à la fois nette et déconnectée de la réalité et de la logique : l'effet de l'opium, sans doute.
Je n'ai globalement pas compris grand-chose, mais cela n'est pas très grave (je l'espère, du moins) : c'est un livre souvent original, très intrigant, dans lequel on ne sait jamais ce qui va suivre et, même s'il manque des clefs de compréhension, il semble qu'elles doivent exister quelque part, pas loin.
Autres livres traduits en français :
- Narrateurs sans âmes (Erzähler ohne Seelen, 2001)
- L'Œil nu (Das nackte Auge, 2005)
- Histoire de Knut (Etüden im Schnee, 2014)
- Sommeil d'Europe ( voir http://www.lacontreallee.com/catalogue/fictions-deurope/le-sommeil-deurope )
Autres livres non traduits en français :
- Ame volante (Hikon, 1998)
Pour en savoir plus sur Tawada Yoko :
Editions Verdier : http://editions-verdier.fr/auteur/yoko-tawada/
Site officiel de l'auteure : http://www.tawada.de/
|