Littérature Japonaise
-> retour Japon <-
|
- Ce n'est pas un hasard. Chronique japonaise (2012) P.OL. 188 pages. Il commence ainsi :
Puis, c'est le 11 mars. Le tremblement de terre, le tsunami. Bientôt, ce sera la menace nucléaire.
Le 14 mars.
"Moi qui ai toujours écrit des histoires qui se terminaient bien, cette fois-ci, peut-être que c'en sera fini. Comme j'aimerais pouvoir lire la dernière page de mon livre, tout de suite." (pages 21-22).
Ryoko Sekiguchi mentionne un livre de Rebecca Solnit (connue en France pour L'Art de marcher), A Paradise Built in Hell: The Extraordinary Communities That Arise in Disaster (non traduit en français) consacré "à cette communauté presque utopique qui surgit après les grandes catastrophes." (page 31). Après une catastrophe, naturelle ou non (inondation, attaque terroriste...), on voit naître des élans de solidarité "quand quelque chose comme un sentiment d'égalité s'installe face au désastre auquel tout le monde est confronté" (page 31). Les catastrophes touchent les écrivains et les artistes en général de façon différente du reste de la population, pourrait-on dire. Quand on fait un travail classique de bureau (informatique, paperasse, etc.), on peut suivre l'évolution de la situation quasiment en direct grâce à Internet : même si son travail en est un peu perturbé ou ralenti, il continue son long chemin balisé par les normes. Chez les artistes, par contre, le travail se nourrit de la vie. Pendant ce temps : "Une amie à Tokyo me dit qu'elle sent bouger la terre même quand ça ne bouge pas." (page 44). Bien sûr, les médias français couvrent l'événement. "On me rapporte que la radio française a diffusé plusieurs interviews dans lesquelles la traduction énonçait le contraire de ce que disaient les Japonais interviewés." (page 60). Ce n'est malheureusement pas la première fois, on m'avait parlé d'un reportage en Russie dans lequel on présentait - avec force interviews - des gens manifestant pour une opinion politique, alors qu'en fait, ils manifestaient contre... Si l'on ne connaît pas la langue, comment être sûr de ce que l'on nous rapporte ? Des archivistes déterrent des descriptions de catastrophes du passé. "Une autre description du 3 octobre 1707 rapporte (à Nagoya) « une lumière entre les nuages, comme un éclair ». Une grande secousse le lendemain, suivie d'un tsunami." (page 64). Intrigant. On aurait bien aimé en savoir plus.
Un poète, Ryôichi Wagô, "continue d'écrire, depuis son appartement sinistré de Fukushima, où il est resté seul [...]" (page 67) Edifiant : "Yumi me raconte l'histoire d'un de ses amis, un Japonais, troisième génération des irradiés de Hiroshima, qui n'a pas pu se marier. Le père de la fiancée a refusé de lui donner sa fille. Trois générations après. Lui qui est né à Tokyo et qui n'a plus de contacts avec Hiroshima." (page 117). Ryoko Sekiguchi reparle de son désir d'écrire sur la veille de la catastrophe, et évoque Mrs Dalloway : "Si j'arrivais à écrire sur la veille, alors peut-être, à la fin du récit, déviant le cours des choses... ? je sais bien que cette idée est stupide. Mais je ne peux pas en abandonner le désir." (page 73). Micro-débat : l'ouvrage papier est-il supérieur au numérique en cas de guerre ? "On peut lire dans la tranchée. On peut lire même s'il n'y a pas d'électricité." (page 73). "Mais en cas de coupures de courant programmées, l'argument ne tient plus." Grâce aux batteries, bien sûr.
"Je prends conscience de ce que c'est que de faire l'objet de discours massifs, parfois violents. Je me rends compte surtout que c'est une situation à laquelle il est rare que les Occidentaux, et tous ceux qui, comme moi, viennent de pays développés, soient confrontés. Nous débattons des affaires du monde. [...] C'est une bonne chose de pouvoir exprimer une opinion sur tout. [...] Les autres pays, le discours des « autres » ne nous atteignent pas de cette façon. Nous ne sommes pas agressés par ce que les autres disent de nous. Ce que j'ai pu être naïve." (page 77)
"Je continue à interroger les uns et les autres sur ce qu'ils ont pu lire après le séisme. Deux personnes différentes et qui ne sont pas poètes m'ont répondu qu'elles ne sont parvenues à lire que de la poésie. Certains disent qu'ils n'ont pas pu lire du tout, mais qu'ils ont écouté de la musique ; pour d'autres, c'est le contraire. Je ne parviens toujours pas à identifier le type de mots dont on pourrait avoir besoin après une catastrophe. Mais en tant qu'écrivain, mes interrogations sur l'écriture ont changé ; ce n'est plus « que faut-il écrire après une catastrophe », mais « qu'est-ce que les gens ont besoin de lire ». Quels mots voudront-ils voir, entendre ? Que peut-on leur offrir ?" (page 169).
En complément de programme : petit compte-rendu de l'article "Fuite poétique à Fukushima", propos recueillis par Shigeo Tanaka (entretien datant de l'automne 2011), traduction de Ryôko Sekiguchi. Paru dans la revue Books de mars 2012, pages 25 à 28. Ryôichi Wagô est né en 1968 à Fukushima. Après son cycle Shi no tsubute, dont les poèmes "étaient comme le dépôt laissé par le flot de ses sentiments", Ryôchi Wagô commence Shi no mokurei qui "a pour thème le dialogue avec les morts." Puis, après le dialogue avec les morts viennent les entretiens avec les sinistrés, le "dialogue avec les vivants" : c'est le troisième cycle, Shi no kaikô.
Pour rester et finir dans la poésie, on trouvera, dans L'Archipel des séismes (Editions Philippe Picquier), des poèmes d'écrivains :
Le Club des Gourmets et autres cuisines japonaises. Traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré. Illustrations : La Cocotte. P.O.L. 211 pages. Textes de Arashiyama Kôzaburô, Dazai Osamu, Kitaôji Rosanjin, Masaoka Shiki, MiyazawaKenji, Nagai Kafû, Okamoto Kanoko, Tanizaki Jun'ichirô. Et c'est bientôt parti pour des aspects très différents de la nourriture dans la littérature : poésie, recettes du XVIII° siècle, récit authentique d'un déjeuner à la Tour d'Argent, considérations sur le saké... "[...] dans ce court essai, apparemment anodin, Dazai utilise le dispositif du saké pour contempler sa propre chute avec une certaine distance". (page 25). 1/ Masayoshi Kitao (1764-1824). ca 1788 ; 2/ Katsukawa Shuntei, 1816. ; 3/ Masasumi Ryūkansaijin : Tôfu kozô (Kyōka Hyaku Monogatari, 1853)
4/ Kitaôji Rosanjin (1883-1959 ; "A la fois céramiste, calligraphe, peintre, artiste de laque, écrivain, gastronome, excellent cuisinier...", page 81 ) : Sukiyaki et canard, brève impression de la cuisine occidentale.
Kitaôji Rosanjin se retrouve à Paris ; il va à la Tour d'Argent pour manger le fameux canard, "avec Takanori Ogisu, le peintre, son épouse, et Shôhei Ôoka, l'écrivain" (page 77). "Ronsajin Kitaôji réalisa ce qu'il faut bien appeler un Art de la Table total, dans ses restaurants qui n'ouvraient que pour les membres triés sur le volet du « Club des Gourmets », dont il était le fondateur.[...] Perfectionniste acerbe, il était connu pour son franc-parler et ses extravagances à la Grimod de La Reynière [...]" (page 81). Ce qui est amusant, c'est que Sekiguchi nous donne aussi la version des événements racontée par Ôoka, et qui n'est pas tout à fait la même... Quelques oeuvres de Takanori Ogisu (Oguiss), qui était présent au fameux repas et faisait office de traducteur (le pauvre): 5/ Shiki Masaoka (1867-1902) : En attendant le repas et autres essais. "Par principe, je ne prends jamais de petit déjeuner, et bien que malade, mon quotidien est d'attendre mon déjeuner avec une grande impatience, le ventre vide. Aujourd'hui, le coup de canon de midi a déjà retenti ; et mon repas qui ne vient toujours pas. À mon chevet, ni livre ni écritoire. Et pas une page du journal de ce matin que je n'aie déjà lue. N'ayant rien de mieux à faire, alité la joue dans la main, je contemple le jardin." (page 85) 6/ Anonyme : Deux histoires de champignon (extraites des Contes qui sont maintenant du passé) :
8/ Miyazawa Kenji (1896-1933) : Matin d'adieu. 9/ Nagai Kafu : Les Yôkan "Cette nouvelle [...] traite d'une dimension particulière de l'univers culinaire : la cuisine comme marqueur de l'appartenance sociale." (page 140).
On y trouve un éloge de la cuisine chinoise à une époque où les Japonais ne la vantaient pas particulièrement, semble-t-il... Il s'agit donc globalement d'un très bon recueil, avec des textes de styles très variés, et toujours intéressants, accompagnés d'explications qui les mettent bien en valeur.
Elle a parlé entre autres de Tanizaki, de son amour pour la cuisine chinoise, ce qui était exceptionnel à une époque où les auteurs la traitaient plutôt avec dégoût.
Et c'est le moment des dédicaces, triples : dessin de la Cocotte, petits mots très gentils de Ryoko Sekiguchi (enfin, peut-être... je ne connais pas le Japonais...) et de Patrick Honnoré.
Sekiguchi sera présente le jeudi 24 mars 2016, à partir de 18h00, à la librairie Nicole Maruani - 171, boulevard Vincent Auriol, 75013 Paris (01 45 85 85 70) pour deux livres : La Voix sombre (Editions p.o.l) et Dîner Fantasma (Editions Manuella).
|
Toute question, remarque, suggestion est la bienvenue.