Littérature Portugaise
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"Après avoir étudié la physique, le sport et l’art, il est devenu professeur d’épistémologie à Lisbonne. On pourra lire le compte-rendu de la rencontre avec Tavares organisée dans la librairie l'Ecume des Pages le 15 octobre 2010. On pourra également visiter le site officiel de l'écrivain. Outre des publications diverses (notamment l'étonnant Un voyage en Inde, ou encore Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest), il y a deux cycles distincts (pour le moment) dans son oeuvre en prose : - Apprendre à Prier à l'ère de la technique (Aprendera rezar na Era da Técnica, 2007 ; traduit en français en 2010 par Dominique Nédellec). Editions Viviane Hamy. 366 pages. Le sous-titre du livre est : Position dans le monde de Lenz Buchmann. Il s'agit du quatrième ouvrage d'un cycle consacré au Mal. Lenz devient un chirurgien renommé. "Le plus stupéfiant lorsque Lenz opérait, c'était qu'à un certain moment le bistouri et même sa main droite semblaient se dissoudre dans le corps du malade. Le bistouri s'introduisait dans le corps, tel un poignard, et semblait chercher quelque chose de bien plus extraordinaire qu'une artère ; le bistouri marquait le premier point d'attaque ; une attaque, en l'occurrence, qui visait à sauver la personne attaquée." (page 27). Lenz cherche, avec son bistouri, à "instaurer une nouvelle monarchie" (page 24), il rétablit l'ordre, il mène un combat contre l'anarchie : la maladie. Mais bientôt : "Il était las d'avoir à traiter avec des hommes individuels et d'être lui-même un homme individuel ; ce n'était pas une échelle qui lui convenait ; il voulait opérer la maladie d'une ville entière et non d'un seul être vivant insignifiant. [...] Monsieur Calvino et la promenade. (O Senhor Calvino, 2005) Traduit du portugais en 2009 par Dominique Nédellec. 86 pages. Dessins de Rachel Caiano. Viviane Hamy. Monsieur Calvino fait partie du cycle "O Bairro" - Le Quartier, que Tavares peuple de plein de personnages qui ont des noms d'écrivains ou d'artistes connus. Ce ne sont pas les vrais artistes que Tavares met en scène, "juste" des gens qui portent le même nom. Cela donne un effet assez étrange. On voit Borges au centre, Walser totalement excentré, Musil, Foucault, Wittgenstein, Beckett et Orwell sont voisins à l'ouest. A l'est, on a Melville, Gogol... Télérama (n°3169 du 6 octobre 2010, page 34) nous apprend que "Il y a quelques mois, près de trois cents étudiants en architecture, pilotés par une quinzaine d'enseignants de l'université Lusiada de Lisbonne, ont relevé le défi : concevoir les maquettes du Bairro de Gonçalo M. Tavares." Globalement, Monsieur Calvino a une relation curieuse à l'infini, ou au monde qui l'environne. Si Monsieur Calvino fait des choses qui paraissent excentriques, ou même méchantes, c'est toujours dans un but louable et désintéressé. Par exemple, lorsque des gens égarés dans son quartier lui demandent son chemin, il leur donne des indications farfelues. Monsieur Valéry (O Senhor Valéry, 2002) Traduit du portugais en 2003 par Dominique Nédellec. 100 pages. Dessins de Rachel Caiano. La Joie de Lire. Monsieur Walser et la forêt (O Senhor Walser, 2006). Traduit du portugais en 2011 par Dominique Nédellec. 47 pages. Dessins de Rachel Caiano. Editions Viviane Hamy. "Si, jusque-là, l'absence d'un espace confortable, clos, rien qu'à lui, avait été un obstacle insurmontable à la concrétisation de certaines invitations qu'il avait bien en tête depuis plusieurs années, comme déjà écrites ou verbalisées, désormais, alors qu'on sentait encore cette ostensible odeur de neuf provenant du bois, de la peinture sur les murs et même du bruit des machines nécessaires à sa vie domestique d'homme sans compagnie, mais qui malgré tout, cela va ce soi, s'alimente et salit les choses, désormais, donc, avec cette nouvelle maison, tout lui semblait possible. Pour Walser, la maison n'était pas seulement un lieu conquis par l'humanité sur la forêt, sur l'espace que les choses non humaines semblaient avoir décrété comme leur appartenant, c'était aussi un paysage idéal pour commencer à parler avec d'autres hommes - ce dont il ressentait le plus grand besoin." (page 10). On a trois éléments : Walser est un homme qui voit loin, pour lui, un plan, c'est vraiment du long terme, tout comme les phrases qui prennent du temps pour s'écrire, qui posent tous les éléments avant de parvenir à la conclusion. Walser va attendre des années avant d'inviter une copine, en attendant que sa super maison soit prête. On peut penser qu'il n'est pas très sûr de lui et qu'il ne mise pas sur ses qualités propres, qu'il veut un cadre adéquat, ou bien encore - et c'est plus probable - que le cadre est un préalable non négociable, que tout plan a une étape 1 et une étape 2, et qu'il faut respecter l'ordre pour que tout se passe bien. Quelle belle maison ! "Dans la cuisine, Walser promène sa main curieuse sur les carreaux de faïence le long du mur. [...] Bien sûr, les plans de Monsieur Walser ne vont pas aller exactement comme il le voudrait. Mais qu'importe, il a de grands projets ! C'est une petite nouvelle très sympathique, mais qui ne possède pas la fantaisie de Monsieur Valéry ou de Monsieur Calvino. On notera des illustrations curieuses... Soit Rachel Caiano, la dessinatrice, était vraiment pressée, soit c'est très signifiant : cette forme étrange, serait-ce le Mal qui menace la maison, qui pourrait y entrer par des interstices ?
Monsieur Brecht et le succès (O Senhor Brecht, 2004). Traduit du portugais en 2010 par Dominique Nédellec. 67 pages. Dessins de Rachel Caiano. Editions Viviane Hamy. Voici quelques-unes de ces histoires, choisies parmi les plus courtes. "Changements. "Trop tôt. "L'importance des philosophes. Les dessins de Rachel Caiano sont astucieux : une foule de plus en plus nombreuse à chaque page. En tournant rapidement les pages du livre, on voit les gens venir vers nous, se masser. Normal : les histoires de Monsieur Brecht ont du succès ! Très bon livre.
Un Voyage en Inde - Mélancolie contemporaine (un itinéraire). (Um viagem à India ; 2003-2010 ; traduit du portugais en 2012 par Dominique Nédellec). Postaface de Eduardo Lourenço. Viviane Hamy. 494 pages. "1- [...] Le héros s'appelle Bloom. Le livre fait donc référence à l'Ulysse de James Joyce (que je n'ai pas lu... un jour, sans doute... je ne suis pas encore prêt à tenter l'escalade...). Mais il fait également référence aux Lusiades de Camões (que je n'ai pas lu non plus). Notre héros, Bloom, fuit donc. Quoi ? Pourquoi ? Sur son chemin vers l'Inde, Bloom s'arrête à Londres. Bientôt, Bloom explicite ce qu'il attend de son voyage en Inde : "64- Et, plus loin : Le texte, on le voit, comporte des thèmes très "Tavaresien" : la civilisation, les animaux, le Bien, le Mal, la technologie, la nature, la dictature, le pouvoir...
On a donc des comparaisons ou oppositions originales (qui rapprochent le grand du petit, le grandiose du trivial), une des spécialités de l'auteur : "Les nouvelles d'un journal, les jours de pluie, peuvent "[...]l'amitié est impossible "[...] un homme, quand il dort, est plus proche "Même les guerres ont été conquises par la bonne Mais pourquoi Bloom tarde-t-il autant pour arriver en Inde ? n'y a-t-il pas de vol direct depuis Lisbonne ? "Il convient d'arriver fatigué à l'endroit
"On distingue ensuite parmi les humains "Les pauvres ne sont pas bons, murmurait mon père, "Des quatre éléments anciens - j'ignore si vous l"avez remarqué -, "Bloom se rappelle bien que certains échecs "Les habitudes satisfont ce qui en toi n'est pas fort" (Chant VI, 96, page 280). La première moitié du livre, en gros, m'a paru supérieure à la deuxième. Mais peut-être y a-t-il eu un effet de lassitude ? Un livre souvent vraiment très fort, très original, parfois (dans la deuxième moitié, principalement) moins réussi, mais (je me répète), n'ayant lu ni l'Ulysse de Joyce, ni les Lusiades de Camões, j'ai dû rater de nombreuses références.
Monsieur Kraus et la politique (O Senhor Kraus, 2005). Traduit du portugais en 2009 par Dominique Nédellec. 138 pages. Dessins de Rachel Caiano. Editions Viviane Hamy. Suivi d'un texte de Alberto Manguel : Karl Kraus, la voisin de tout le monde (traduit de l'anglais par Christine Le Boeuf). Tavares développe parfois les paradoxes, comme dans la partie "Payer plus d'impôts est très bon pour qui paie plus d'impôts". Dans un petit texte qui conclut le volume, Alberto Manguel parle de Karl Kraus (1874-1936), le vrai (cf notice Wikipedia), auteur notamment de nombreuses pensées qui donnent envie d'aller y voir de plus près ("La vie est un effort qui serait digne d'une meilleure cause", "Le mal ne prospère jamais mieux que lorsqu'un idéal est placé devant" ; "La fonction de la rate doit être semblable à celle des notaires dans l’Etat : nécessaire mais superflue"). M. Jean-Pierre Balligand [député PS]. Il faut aussi penser pour travailler ! Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. De ma lecture de Tocqueville je retiens l’idée suivante : « L’égalité réhabilite l’idée du travail procurant un gain. »
Jérusalem (2005). Traduit du portugais par Marie-Hélène Piwnik en 2008. Viviane Hamy. 247 pages. Prix Saramago 2005. Chaque chapitre indique quels sont les personnages qui y apparaissent, et dans quel ordre. On a par exemple : Ernst et Mylia (chapitre 1) ; Theodor (chapitre 2) ; Hanna, Theodor, Mylia (chapitre 3)... Il y a de très nombreux personnages, car on peut aussi citer : Hinnerk ; Gomperz ; Kaas ; Krauss... Comment en est-on arrivé à cet instant, au coeur de la nuit ? Le roman dispose les pièces qui, lentement, semblent se déplacer pour s'emboîter : tout converge. Le centre de gravité est Theodor, un médecin réputé. Theodor veut comprendre les horreurs dont est capable l'Humanité. Pour ce faire, il effectue un travail statistique de longue haleine sur les horreurs à travers les âges : y a-t-il une tendance et, si oui, quelle est-elle ? Le nombre d'horreurs est-il stable ou en hausse ? Y a-t-il des cycles ? A travailler sur ce sujet, y a-t-il finalement un risque d'essayer de comprendre (et donc de le trouver normal ?) le raisonnement à la base de ces horreurs ? C'est un sujet que l'on trouve souvent dans les livres de Tavares : la tentative d'un homme de modéliser scientifiquement ce qui n'est pas modélisable, ce qui n'est pas rationnel : l'Homme et ses motivations ; ou encore ce qui est imprévisible, nous dépasse et est plus souvent menaçante que bénéfique : la Nature... l'Homme n'en faisant pas partie. Theodor est finalement assez désespérant. Il pense que sont inutiles les distractions, les prostituées (mais il en rencontre tout de même), les histoires drôles... car tout ceci fait gaspiller l'énergie créative et peut même être la cause de l'anéantissement de notre société : en effet, que se passerait-il si une nouvelle espèce animale apparaissait, espèce qui rejetterait tous ces plaisirs futiles ? L'avantage biologique qu'elle aurait ne serait-elle pas suffisante pour nous supplanter ? Autre chose : "[...] pour Theodor l'importance des bonnes actions, considérées sur une longue période, [est] infime, à l'inverse des actions purement mauvaises, qui étaient devenus le vrai moteur de l'Histoire. Pour lui, les bonnes actions." (pages 161-162). Dans le roman, on trouve d'autres personnages très torturés. Par exemple, un certain Hinnerk. C'est un homme qui a fait la guerre et qui en est revenu marqué.
Monsieur Swedenborg et les investigations géométriques (O Senhor Swedenborg e as investigações geométricas, 2009). Traduit du portugais par Dominique Nédellec. 123 pages. Dessins de Rachel Caiano. Editions Viviane Hamy 2/ Il faut avoir peur de certains objets : 3/ Explication pour un nouveau mercredi :
Matteo a perdu son emploi (Matteo perdeu o emprego, 2010). Traduit du portugais par Dominique Nédellec. Viviane Hamy. 193 pages. Entre les différentes histoires, on trouve une photo de mannequin, ce qui donne un effet très étrange (une de ces photos est en couverture). On notera que la version portugaise est conforme à ce que voulait Tavares (on a toutes les photos sur la quatrième de couverture, contrairement à la version française : les éditeurs ont une certaine uniformité de collection à respecter, c'est dommage. Les enfants, en classe au Portugal, se voient attribuer une place en fonction de l'alphabet. Ceux dont le nom commence par un "A" sont au premier rang... jusqu'à"Z" pour le dernier rang. Les enfants sont assis à côté de quelqu'un dont le nom commence par la même lettre qu'eux. Le livre parle beaucoup de classements, d'ordres. Certains personnages introduisent de l'ordre, d'autres du désordre. Les notions d'ordre et de désordre relèvent finalement d'un sentiment individuel. Ainsi, un jogger, qui des années durant a couru autour d'un rond-point dans un sens, décide subitement de changer de sens ; dans une autre histoire, un colis doit être livré dans une rue à un numéro qui pose problème... Du côté de l'ordre, un enquêteur essaie de déterminer les opinions de quelqu'un à l'aide d'un questionnaire. Tavares a explicité (lors de la rencontre à la librairie) quel est son mode d'écriture habituel : une fois un texte écrit, il le laisse reposer parfois longtemps. Pour Matteo a perdu son emploi, lorsqu'il a relu son texte, il a ressenti la nécessité d'écrire une postface : c'est une sorte de "plaisanterie interprétative" (c'est le terme qu'il a employé), qu'il a rédigée en "essayant d'interpréter ce qu'[il] a écrit de façon fictionnelle". Matteo a perdu son emploi est un bon livre, très curieux, original.
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