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MEDORUMA Shun
(目取真俊)

(Nakijin, Okinawa, 06/10/1960 - )

medoruma shun

"Shun Medoruma 目取真俊 est, avec Eiki Matayoshi, un des plus importants écrivains contemporains originaires d'Okinawa.

Il a reçu le prix Akutagawa en 1997 pour sa nouvelle « Une goute d'eau » (水滴, Suiteki). Les thèmes centraux dans l’œuvre de Medoruma sont l'occupation japonaise et la suppression de la culture et de la langue d'Okinawa, ainsi que la présence de soldats américains sur les îles de l'archipel.
" (Wikipedia)

Il a obtenu le prix Kawabata en 2000 pour Mabuigumi (まぶいぐみ, 1999).

Il a également écrit des textes plus longs, notamment un roman basé sur le scénario qu'il avait écrit pour un film (Fuon, 2004, réalisé par Higashi Yôichi).

 

 

kotaro

- L'Âme de Kôtarô contemplait la mer. (Mabuigumi, 1999). Nouvelles traduites par Myriam Dartois-Ako, Véronique Perrin et Corinne Quentin. Editions Zulma. 280 pages.

Le recueil est composé de six nouvelles, qui se déroulent toute à Okinawa.

"« L’été est long à Okinawa, écrit Medoruma Shun. Il y a une trentaine d’années, les enfants jouaient tout le temps dehors. Sans les poissons combattants qui ondulaient de leur longue queue bleue dans une eau claire jaillissant au milieu des rochers, ni les expériences de mon enfance entièrement plongée dans la nature, les forêts et les montagnes d’Okinawa, je pense que je n’aurais pas pu écrire ces histoires. »" (rabat de la quatrième de couverture).


1/ Mabuigumi-L'Âme relogée (49 pages). Traduction de Véronique Perrin. Cette nouvelle a remporté le prix Kawabata en 2000,
La vieille Uta s'apprête à prendre son thé matinal, quand elle est appelée d'urgence par une voisine, Fumi.
Que se passe-t-il donc ?
"Au centre de la pièce, une chambrette de quatre tatamis et demi aux volets clos, éclairée au néon, Kôtarô ronflotait sous le drap en éponge qui le couvrait jusqu'à la taille.
- Hémorragie cérébrale ?
Fumi secouait la tête en silence.
[...]
- Alors quoi, qu'est-ce qui ne va pas ? [...]
Elle resta un moment à lui caresser la joue en se demandant, vu son état, si ce ne serait pas à nouveau son mabui qui aurait fichu le camp. Parce que dès ses premières années, peut-être du fait d'avoir perdu ses parents quand il était encore nourrisson, il avait été sujet à de fréquents « défaillements de l'âme »
" (pages 12-13).

Si ce n'est que ça, pas de quoi en faire un drame ! Uta, qui est prêtresse, a déjà remis en place le mabui de Kôtarô, le mari de Fumi, à de nombreuses reprises... Il semble que, cette fois, ce soit plus grave.
"C'en était trop, elle allait changer de ton pour qu'on lui dise enfin ce qui se passait, lorsqu'elle aperçut tout à coup quelque chose de noir pointant sous les narines de son Kôtarô." (page 14).

Mais que se passe-t-il ?
La vieille Uta parviendra-t-elle à reloger l'âme de Kôtarô ? D'ailleurs, que fait-elle, pendant ce temps ?
"L'âme de Kôtarô contemplait la mer avec une expression rêveuse." (page 20). Phrase qui donne son titre au recueil.

Une très bonne nouvelle, originale, et qui permet au lecteur de commencer à se familiariser avec le surnaturel qui semble faire partie du quotidien à Okinawa.

2/ L'Awamori du Père Brésil (56 pages). Traduction de Corinne Quentin.
"Récemment, j'ai lu dans le journal que plus de la moitié des lycéens d'Okinawa sont incapables de donner la date exacte de la rétrocession d'Okinawa au Japon. Ces lycéens ignorent sans doute aussi qu'Okinawa a été administré par les Etats-Unis pendant vingt-sept ans, et qu'autant d'années se seront bientôt écoulées depuis la rétrocession. [...]
J'étais alors en quatrième année d'école primaire. L'inquiétude ambiante chez les adultes du fait qu'Okinawa serait restitué au Japon l'année suivante se propageait jusqu'à nous, les enfants. [...] nos préoccupations étaient assez puériles : après la rétrocession au Japon est-ce qu'il neigerait à Okinawa ? Est-ce que les cerisiers se mettraient à fleurir en avril ?
" (page 61).
Le narrateur joue avec ses copains, mais ne vont plus pêcher ensemble : "Avec l'accumulation des rejets de la sucrerie et de la porcherie, la pollution s'était soudain accélérée." (page 69). Les poissons présentent des anomalies... Le thème de la pollution revient dans plusieurs des nouvelles du recueil.

Les enfants s'amusent à voler des fruits au Père Brésil, un vieil homme qui doit son surnom au fait qu'il a passé une trentaine d'années en Amérique du Sud avant de revenir à Okinawa, après la guerre. Mais qui est cet homme ?

Une jolie nouvelle, vivante, avec un peu de fantastique (les perroquets !).


3/ Rouges palmiers (34 pages). Traduction de Myriam Dartois-Ako.
Le narrateur, un enfant, regarde à la télévision un combat de boxe Cassius Clay contre Joe Frazier.
"Dans la bouche de mon paternel, Clay était un héros." (page 119). Mais Cassius Clay perd.
ali-frazier
"Ses mouvements manquaient de vitalité. Où étaient le magnifique jeu de jambes, les coups percutants ? Quatorze rounds. Lorsqu'il s'est effondré, la parole paternelle était définitivement trahie." (page 120).

Il parle du match à l'école le lendemain.
"Ayant sans doute entendu la conversation, S. m'a soudain adressé la parole à la fin des cours. C'était un garçon calme et silencieux, comme il y en a toujours un ou deux dans n'importe quelle classe. Il était arrivé dans notre école l'été précédent et n'avait pas d'ami digne de ce nom. Je n'avais moi-même jamais discuté avec lui.
- Tu aimes la boxe ?
" (page 120).
Dans cette nouvelle, le lecteur va, avec le narrateur, voir de plus près les soldats américains et les lieux où ils dépensent leur argent le soir...
Bonne nouvelle, assez triste et un peu glauque.


4/ Coq de combat (34 pages). Traduction de Corinne Quentin.
"C'est l'été de sa cinquième année de l'école primaire que Takashi reçut de son père Yoshiaki un coq de combat encore poussin. Dans une cage qu'il avait fabriquée, il avait réussi à élever, jusqu'à ce qu'il se mette à chanter, un passereau à lunettes qu'il avait lui-même attrapé." (page 155)
"Takashi appelait son animal Aka : le Rouge. Selon la lumière, son plumage noir prenait des reflets violets ou verts, et des plumes or, carmin et orange, propres à la race akazasa, descendaient depuis le cou jusqu'au dos. Fasciné par tant de beauté, Takashi s'était dit que malgré la simplicité de ce nom, il n'y en avait pas d'autre possible. Personne ne donnant de noms aux coqs, cela fit d'Aka un coq vraiment à part." (page 157).
Takashi prend soin de son coq. Tous les jours, sur le chemin du retour de l'école, il attrape des chenilles ou des sauterelles.
"Ce qu'Aka aimait particulièrement c'était les chenilles des feuilles d'hibiscus. [...] Aka se jetait avidement sur la chenille à la peau souple et fine, remplie d'un liquide vert, qui ondulait dans sa pâtée et l'avalait d'un coup." (page 158)
Bientôt, Aka est prêt pour les combats...
Une nouvelle, âpre, violente, vraiment excellente.


5/ Avec les ombres (41 pages). Traduction de Myriam Dartois-Ako.
"Tu sais, quand je suis assise comme ça sur une des branches du ficus et que je regarde couler la rivière, plein de souvenirs me reviennent. Moi aussi, quand j'étais petite, comme toi, je contemplais la rivière, assise au pied de cet arbre. Autrefois, il y avait plus d'eau et les berges n'étaient pas bétonnées, les plantes foisonnaient sur les rives. [...]
Moi, je suis née environ dix ans après la fin de la guerre. Tu sais qu'il y a eu la guerre à Okinawa, autrefois ? [...] Plein de gens du village sont morts, mon grand-père aussi, c'était pendant la guerre, mais on ne sait pas où. D'après ce qu'on m'a raconté, des soldats japonais l'ont emmené et il n'est jamais revenu.
" (page 191).
En ce qui concerne la guerre à Okinawa, on pourra lire Mourir pour la patrie, de Yoshimura Akira. Mais, ici, Medoruma Shun parle à plusieurs reprises de gens qui sont emmenés et tués par des soldats japonais, et pas par les Américains.

La narratrice appartient à une famille nîgamiyâ, une grande famille de prêtresses kaminchu. Elle est un peu lente, elle doit prend plus de temps que les autres pour faire et comprendre les choses. Mais elle peut voir ce qui reste invisible pour les autres.
La vie n'est pas facile pour elle.
A noter un beau passage qui mêle poissons et oiseaux... En voici un extrait : "La pluie s'est transformée en étincelles lumineuses qui se sont mises à flotter, je voyais plein de papillons et d'oiseaux voler au milieu des bancs de poissons, et des petits oiseaux verts, plus petits que des oiseaux à lunettes, butinaient le pollen des anémones de mer accrochées aux pierres ou au tronc des arbres." (pages 227-228)
Une nouvelle triste.


6/ La mer intérieure (47 pages). Traduction de Myriam Dartois-Ako.
Au début de la nouvelle, le narrateur, un petit garçon, est emmenée par sa mère dans sa famille à elle. Elle fuit son mari, un homme fasciné par les poissons. Il y a un aquarium chez eux.
"Lorsqu'un poisson s'affaiblissait et mourait, une ombre envahissait la poitrine de mon père puis s'étendait à son visage, ses mains et ses pieds, transformait tous ses traits. Un jour, alors que je regardais les poissons nager les deux mains posées sur la vitre de l'aquarium, mon père m'a soudain attrapé par le col et m'a giflé, m'envoyant valdinguer contre le mur. Je suis tombé à plat ventre sur les tatamis. Quand il m'a relevé, prêt à m'assener un nouveau coup, ma mère s'est interposée. Son corps, enveloppant le mien pour le protéger, était secoué de soubresauts." (page 237).

Bonne nouvelle, assez étrange.

 

C'est donc un très bon recueil à l'ambiance originale (que l'on peut qualifier de "réalisme magique"), avec de belles descriptions de la nature, mais aussi des moments de violence et de laideur, et la présence persistante du passé.

Il semble (source : http://takumasminkey.com/readingokinawa/styled/) que l'auteur utilise souvent l'okinawaien (uchināguchi). On a bien quelques mots de dialecte, mais je suppose que l'on perd forcément beaucoup du caractère spécifique de la prose de l'auteur.

Extrait du film Fuon (Les Pleurs du vent, 2004, réalisé par Higashi Yôichi), dans lequel on voit quelques thèmes que l'on trouve dans son recueil L'Âme de Kôtarô contemplait la mer : alcoolisme, violence du père, mère protectrice, suicide, poissons...

 

les pleurs du vent

- Les Pleurs du vent (Fûon ; 風音 ; 1997) traduit par Corinne Quentin. Zulma, 124 pages.
Au début, nous sommes avec un groupe d'enfants, à Okinawa.
"Surplombant l'embouchure de la rivière Irigami qui venait se jeter dans la mer après avoir traversé le village, c'était une longue falaise, dont la roche ocre jaune montrait par endroits des traces d'impacts de balles. [...]
Akira [...] porta son regard vers un espace rectangulaire qui s'ouvrait à côté de la cascade de lianes et de liserons.
C'étaient les vestiges de l'ancien ossuaire en plein air dont même les vieillards ignoraient de quelle période il pouvait bien dater. Quand on y déposait le corps d'un mort, les oiseaux, crabes, ligies des rivages, et puis la brise marine se chargeaient de le transformer en un beau squelette blanc, disaient avec nostalgie les anciens en plissant les yeux comme pour apercevoir au loin ce passé. Akira imagina des squelettes étincelants, à moitié enfouis dans le sable blanc. Ne serait-ce qu'une seule fois, il brûlait d'envie de voir l'endroit de ses propres yeux.
" (pages 8-9).

Cet ossuaire n'est plus que difficilement atteignable depuis que des bombardements ont détruit l'escalier pendant la Seconde Guerre mondiale.
"Akira et sa bande avaient les yeux rivés sur la forme blanche qu'on apercevait dans l'espace obscur. Comme si quelqu'un l'avait délibérément posé là, un crâne se trouvait à l'entrée de l'ossuaire, bien en équilibre. Ses orbites noirs fixaient la mer vers le lointain. [...] au milieu du chant des cigales qui résonnait au loin, on entendit comme le son triste d'une flûte.
Akira et ses copains retinrent leur souffle, les yeux fixés sur la forme blanche. Le son provenait du crâne. Un murmure, « Uutôto, Uutôto... », qui ne sortait d'aucune bouche.
" (pages 10-11).

"« Chiche qu'on monte ?»" (page 7), lance un des enfants.

Pourquoi ce crâne se trouve-t-il ainsi là-haut ? Pourquoi y a-t-il ce son étrange ?

Des journalistes arrivent pour réaliser un reportage consacré à la bataille d'Okinawa. A cette occasion, qui sert de déclencheur, le lecteur va être plongé dans les souvenirs de plusieurs personnages et comprendre les événements qui ont eu lieu sur l'île pendant la Seconde Guerre Mondiale, au moment du débarquement de l'armée américaine...
Le thème principal du livre est bien sûr la mémoire, le poids du passé.

En lisant ce court roman, on pense forcément à plusieurs livres de Yoshimura Akira (Un spécimen transparent, Mourir pour la patrie...). Peut-être en partie à cause de cela, ce livre est un peu moins original que le recueil précédemment paru en France, L'Âme de Kôtarô contemplait la mer. Mais c'est tout de même un bon livre.

Medoruma Shun a écrit lui-même l'adaptation des Pleurs du Vent au cinéma : Fuon (2004 ; Prix de l’innovation au festival de Montréal), réalisé par Higashi Yôichi.

En voici la bande-annonce :

 

 


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