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Salon du Livre de Paris 2012.



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C'est l'après-midi du dimanche 18 mars, il pleuviote. L'occasion d'aller au Salon du Livre de Paris.
Avec une place préalablement achetée, pas besoin de faire la queue pour entrer (il est 13h15). Mais, à l'intérieur, quel monde !

salon du livre


Un petit repérage des conférences amène à aller voir et écouter "La Littérature de la catastrophe", avec Oé Kenzaburô et Kamata Satoshi (notamment auteur de "Toyota. L'usine du désespoir"). Les deux hommes se sont engagés très fortement contre le nucléaire.
salon du livre

 

Il y a foule, bien sûr. A cause du brouhaha, ce n'est pas toujours facile d'entendre ce qui se dit, d'autant que des gens s'approchent sans cesse ("c'est qui ?"), repartent.
Oé n'en est pas à sa première conférence ici... et pas à sa dernière.

Il parle du nucléaire, de Fukushima, des discussions qu'il a eues avec un docteur qui lui disait que les victimes de Fukushima, ce n'est pas tout de suite qu'on les voit, que ce sera dans vingt ou trente ans (les cancers).

Peut-il y avoir des poèmes ou une écriture après Auschwitz, peut-il (toutes proportions gardées, dit l'animateur) y avoir une littérature après Fukushima ? Cela n'a pas empêché Adorno d'avoir beaucoup écrit, fait remarquer Oé, qui parle ensuite de la fin de sa vie, de ce qui lui reste à écrire : il pensait parler du "drame personnel", alors qu'il y a un drame plus général.

 


Petite balade dans les allées.
A certains endroits, il y a énormément de monde, indice d'une star en pleine séance de dédicaces.
sempe

C'est Sempé qui fait des dessins. Là, c'est sûr que ça vaut le coup d'attendre.


Parfois, c'est moins évident :
manson

Jeane Manson.

thuram

Thuram.

 

Soudain, du côté de Gallimard, c'est la cohue, quasiment l'émeute. Quel est l'écrivain qui peut susciter autant d'agitation ? Marc Lévy ? Musso ?

hollande

C'est François Hollande.

J'entends : "T'as vu, c'est Hollande ! Ben, il est petit... Y'a mon cousin qui m'a dit qu'il n'était pas plus grand que Sarkozy".

Ça c'est de la politique de très haut niveau. Quand on commence à critiquer la taille des gens, de droite ou de gauche, ça veut dire qu'on est furieusement en panne d'idées.

J'en profite pour me faire dédicacer Le Marais des Neiges (prix Tanizaki) par Horie Toshiyuki.

horie toshiyuki

 

Allons faire un tour du côté du stand de Philippe Picquier.

picquier

Deux traductrices bien connues font des dédicaces : Véronique Brindeau, qui vient de publier Louange des Mousses (dommage : je l'ai déjà acheté mais laissé à la maison) et Corinne Atlan (à droite), qui en plus de son travail de traductrice, a écrit un roman, Le Monastère de l'Aube (il vient de sortir en poche). La tentation bien compréhensible de l'écriture.
Hop, une dédicace. Corine Atlan sort son sceau nippon.

Elles sont très sympathiques. J'en profite pour me renseigner sur les modalités d'entrée au Temple des Mousses de Kyoto, pour quand j'irai (peut-être l'année prochaine ?), je demande si les livres qui sortent chez nous sont représentatifs dans leurs tailles (généralement, ceux qui nous arrivent sont assez minces, on n'a que très rarement des pavés) : apparemment, en fait, les auteurs japonais publient pas mal de gros romans ces temps-ci, encouragés par les éditeurs qui peuvent ainsi vendre un livre en plusieurs volumes.

Véronique Brindeau parle des saisons au Japon, chacune ayant quelque chose, car le Japon est beau en toutes saisons. Je parle de l'automne, ayant déjà vu les cerisiers en fleurs. L'automne : les érables rouges, bien sûr, dit Véronique Brindeau, mais aussi l'ombre des branches délicates sur la mousse verte...
C'est rudement bien de mettre des visages et des voix sur ces noms si souvent lus sur les couvertures, c'est très intéressant, mais je ne peux malheureusement pas rester là comme ça, je ne suis pas tout seul, il faut faire de la place.

 

Bon.
Une conférence a priori intéressante va bientôt commencer. Sur le chemin, du côté du stand de Joseph Gibert, Yoshimazu Gôzô, le poète (trop "contemporain" - ou "exigeant", ou encore "expérimental" - pour moi : il faut savoir reconnaître ses limites et là, ça me dépasse totalement), signe des livres.
yoshimazu gozo

 

Voilà, la conférence "Réinventer l'Occident ? Dialogue entre Keiichirô Hirano et Toshiyuki Horie" va commencer.
Voici Hirano Keiichirô et Dominique Palmé, la traductrice (je l'ai déjà dit, mais cela fait plaisir de mettre des visages et des voix sur des noms familiers).

hirano et palmé

Au passage, je crois que ce n'est pas très courant, une traductrice littéraire qui fait aussi de la traduction "rapide" (ce n'est pas simultané, c'est "après-coup"). Et elle le fait de manière vraiment impressionnante, avec une très grande aisance, sans quasiment utiliser de notes. C'est bluffant d'entendre un écrivain parler pendant deux bonnes minutes, sans interruption, et puis Dominique Palmé traduire dans la foulée, de mémoire.

reinveter l'occident

De gauche à droite, donc : Dominique Palmé, Horie Toshiyuki, Marianne Payot (rédatrice en chef adjointe du service Livres à L'Express), Hirano Keiichirô, et puis une autre traductrice (qui n'est pas sur la photo et dont je ne connais pas le nom ; son style à elle est très différent, elle semble tout prendre en sténo pendant que l'écrivain parle, puis lit ses notes après coup, comme un texte).

 

Tout d'abord, Marianne Payot demande à Hirano Keiichirô ce qui a poussé un jeune homme - Hirano avait 23 ans à l'époque, je crois - à écrire un roman situé en France à la fin du XV° siècle (il s'agit de son fameux roman L'Eclipse).
l'eclipse
Keiichirô dit que, à l'époque où il a écrit ce livre, la situation économique était en plein marasme au Japon, à la suite de l'éclatement de la bulle spéculative ; de plus, il y avait eu un séisme dans le Kansaï, et une histoire de meurtre commis par un mineur : bref, la société japonaise avait perdu ses valeurs et n'avait plus rien à quoi se raccrocher ce qui, pour Hirano Keiichirô, faisait écho à la situation en France à la fin du XV° siècle.
De plus, il était attiré par le christianisme, et particulièrement par le mysticisme de cette époque ; il y avait eu plusieurs livres sur ces sujets traduits de l'étranger qui étaient sortis à peu près au même moment.
A la fin du Moyen-Age, les procès en sorcellerie étaient nombreux. En s'opposant au Mal, la société cherchait à retrouver son unité. Le 11 Septembre aux Etats-Unis a également été le début d'une lutte contre le "Mal" permettant aux Etats-Unis de tenter de recouvrer leur unité.

Dans l'Eclipse, il y a une succession d'instants rationnels qui aboutissent à l'irrationnel. Il était important de poser les fondements de cet instant.

Question à Horie Toshiyuki : comment en vient-on à apprendre le français ?
En fait, Horie a étudié la littérature classique japonaise à l'université. L'anglais était obligatoire, et en deuxième langue, il a pris le français. C'était du français très théorique, étudié dans les livres, mais il n'y avait pas d'étude de la littérature française, ce qui était frustrant (plus tard, en France grâce à une bourse, il a étudié à Paris III et a fait un DEA sur Valéry Larbaud).
Ce qu'il a retenu de la littérature française ? Le travail sur le style, le goût pour les contraintes littéraires (il cite la Disparition, de Perec). "Je me suis rendu compte qu'il est impossible de séparer la forme du contenu. Sur quoi on écrit et de quelle façon l'écrire : c'est ça qui caractérise le grand roman".


On revient à Hirano : son roman l'Eclipse comporte nombre de kanjis inusités, rares, à tel point qu'il nécessite d'avoir un dictionnaire à portée de main.
Hirano dit que dans l'enseignement scolaire, on n'apprend plus les kanjis compliqués, et dans les journaux de plus en plus pour les kanjis doubles, le syllabaire hiragana est utilisé. Hirano aime utiliser des mots rares pas parce qu'ils sont complexes, mais parce qu'ils sont beaux (il va revenir un peu plus tard sur l'origine de son attirance pour les kanjis compliqués).

A Horie, on demande si c'était important, pour lui, d'évoquer les camps d'extermination dans son roman Le Pavé de l'Ours.
le pavé de l'ours
Il dit qu'il y a eu beaucoup de livres qui ont abordé le thème des camps d'extermination, mais qu'aucun n'arrive à la hauteur de l'Ecriture ou la Vie (dont le titre en japonais - traduit, bien sûr, est "Un dimanche à Buchenwald"), de Semprun. Il parle de l'importance de l'écriture, du langage, des mots.

A Hirano : comment en est-il venu à s'intéresser à la littérature française ?
Sous l'influence de Mishima.
A quatorze ans, Hirano a lu Le Pavillon d'Or, puis a lu tous les auteurs français qui ont influencé Mishima : Balzac, Flaubert, Baudelaire, Rimbaud...
Les traducteurs des poètes symbolistes devaient se donner un mal fou pour rendre le texte en japonais. Les traducteurs ont utilisé les kanjis compliqués qu'il affectionne, pour rendre efficacement le texte original.
Hirano a lu méthodiquement les auteurs français depuis le XIX° siècle jusqu'aux contemporains... mais s'est arrêté au Nouveau Roman. Là, il n'a plus aimé la littérature française. "Je crois ne pas être seul dans ce cas".
Horie approuve de la tête.
Hirano : "Avec le recul, certaines oeuvres sont instructives, mais on n'a pas le coeur qui bat en les lisant."
Ces derniers temps, il dit qu'il y a un regain de popularité de la littérature française contemporaine auprès des jeunes grâce à Michel Houellebecq et Jean-Philippe Toussaint.
Horie dit alors qu'il enseigne à des étudiants de 18-22 ans, mais que parmi ses étudiants personne ne lui a dit avoir de l'intérêt pour ces deux auteurs... "Si Hirano pouvait m'amener ces jeunes, pour que je m'en occupe..."
Horie remarque au passage que Hirano a une approche très méthodique (il n'a pas tort ; sa démarche de lecture méthodique m'a un peu rappelé celle d'Alberto Moravia).


Hirano continue : les traducteurs des poètes symbolistes qu'il a lus étaient nés à l'époque d'Edo, c'étaient des lettrés qui connaissaient bien les caractères chinois. Hirano a lu Baudelaire et Rimbaud dans ces vieilles traductions parce que c'étaient les moins chers qu'il pouvait trouver en poche ("Je ne sais pas si vous lisez toujours Poe dans la traduction de Baudelaire", s'est-il demandé). La langue japonaise continuait à évoluer, mais la traduction restait ancienne.
Il peut y avoir plusieurs approches privilégiées pour les traductions de poèmes : le sens, le son, la forme des kanjis.

Il aborde assez brusquement un sujet différent (celui de la compréhension, du dialogue), et dit qu'il y a toutes sortes d'informations qui parviennent par internet, les gens pensent qu'en picorant sur internet, on a tout compris, alors que pour percevoir le sens véritable, il faut prendre le temps de lire et de réfléchir.

 

Horie : Le dialogue, "ce n'est pas un but, c'est un état d'âme" (il prononce ces mots en français). Le dialogue n'a pas pour but que chacun comprenne l'autre complètement, mais que l'on accepte l'autre dans ses différences, y compris dans ce que l'on ne comprend pas.

 

Hirano : Quelque chose me surprend depuis toujours : les lecteurs veulent savoir ce que les gens mangent dans les livres. Dans un de ses romans (2500 pages sur la vie de Delacroix et Chopin, livre qui ne sera vraisemblablement jamais traduit en français), il y a toutes sortes de scènes, des descriptions de concert (scènes louées par Horie), etc. Dans ce roman, donc, Hirano a écrit une ligne sur la nourriture, concernant le fait que quelques gouttes de chocolat ajoutées dans le café intensifient le goût. Eh bien, beaucoup de gens lui ont dit que le roman était très réussi, surtout ce passage.
Horie dit alors, en riant, que lui aussi a fait l'expérience à la suite du livre.
Hirano dit que ces remarques sont sans doute dues au fait que les lecteurs se trouvent très proches des personnages qui mangent ou qui boivent. "Depuis, je réfléchis très sérieusement à ce que je fais boire ou manger." Il y a proximité, car c'est une expérience physique, par le corps, que les lecteurs ont déjà vécue eux aussi.

 

Puis Horie parle de Littré, de La Fontaine, de la Normandie... et surtout du camembert, le fromage marquant de son Pavé de l'Ours, notamment à travers le concours de lancers de camemberts.
Certains lecteurs ont été choqués que l'on puisse se comporter ainsi avec la nourriture. D'autres ont demandé des détails sur les marques (Président ?... ).
Ah, le camembert... Horie dit qu'il était heureux, en venant en France, de découvrir comment manger le camembert. En effet, face à un camembert, la première fois, on se demande comment il faut le manger. A force d'observation ("j'ai regardé ça de très près"), il a constaté que les gens le coupent en quartier, et non pas en tranches.
horie

Le public s'amuse bien.

 

Et c'est fini.

 

Plus loin, imperturbable, Oé enchaîne les conférences, avec toujours du monde. Ça paraît moins drôle, bien sûr.

oé kenzaburo   Oe kenzaburo

 

 

Un petit passage du côté de Gibert, le temps de faire l'emplette de Une âme qui joue - Le Cercle, un recueil de poèmes de Ogawa Shizue (traduction Véronique Brindeau), avec des poèmes tout doux ("Réchauffe tes membres avant de dormir / réchauffe bien tes pieds surtout / cela te gardera de rêves tristes / où quelqu'un te poursuivrait"), avec en prime, à la caisse, une nouvelle bilingue hors commerce de Mishima : La Mort de Radiguet (traduction Dominique Palmé)...

... et la conférence avec Yoko Tawada est déjà commencée : "Les frontières de la langue". Rencontre entre Yoko Tawada et Michel Deguy ("Rédacteur en chef de la revue Po&sie qu'il a créée en 1977. En 1998, il a reçu le Grand Prix national de la poésie et en 2004 le Grand Prix de poésie de l'Académie française" dit wikipedia).

Tawada parle du silence, du processus qui mène du silence à la parole.
tawada

On revoit Dominique Palmé à gauche, à côté de Yoko Tawada. A droite, Cécile Sakai (traductrice et notamment auteure du si intéressant Kawabata, le clair-obscur), que je ne connaissais pas en vrai.
Michel Deguy parle de ce qui peut être de la poésie sans qu'on s'en rende compte sur le moment, par exemple la fameuse déclinaison latine "rosa rosa rosam..." qui est un alexandrin (enfin, cela dépend de la façon de prononcer "rosae", quand même...).

Voici Michel Deguy, tout à droite :

tawada

 

On nous signale que l'on peut lire des poèmes de Tawada (traduits de l'allemand par Bernard Banoun, présent dans la salle), dans le numéro de mars 2012 de la revue de la NRF, sous la direction de Philippe Forest (il s'agit d'extraits de "Aventures(s) de la grammaire allemande").

 

Parmi tous les sujets abordés, il y a l'éternel problème de la traduction de certains mots. Tawada parle du "tu" et du "vous" en allemand : il y a donc deux mots (comme en français) ; mais pour se désigner "soi", il n'y a qu'un terme, ich. Par contre, en japonais, il y a une multiplicité de mots pour parler de soi, en fonction du degré de politesse que l'on utilise vis-à-vis de son interlocuteur. Le "je" est donc conçu comme une relation à l'autre et pas comme étant individuel.


Tawada parle aussi de la manière dont elle a appris l'allemand (elle est installée en Allemagne depuis 1982), non pas en apprenant des listes de vocabulaire par coeur, mais en captant des mots, en expérimentant, en ayant des émotions, par exemple de la colère lorsqu'elle n'arrivait pas à se faire comprendre (ceci dit, quand on est immergé dans un pays, c'est vrai que les mots entrent beaucoup plus vite que lorsque l'on apprend théoriquement dans son pays ; après quelques jours en Finlande, je commençais même à retenir certains mots de finnois, c'est dire... bien sûr, depuis, je les ai oubliés).

 

Et c'est déjà fini.

 

Une petite dédicace germanophone plus loin ("Opium pour Ovide", j'ai prononcé mon prénom à l'allemande - avec un accent lamentable ? -, mais Tawada avait l'air de ne pas le connaître)...

tawada

... et il est temps de partir.
Le sac est plus lourd qu'à l'arrivée.

 

Les allées sont maintenant clairsemées.

la fin


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