Fille du critique, poète et philosophe Yoshimoto Takaaki, elle a
écrit des nouvelles, des romans et des essais.
- Kitchen
(1988, publié en France en 1994, Gallimard, 149 pages).
Très grand succès au Japon
(plus 2,5 millions d'exemplaires vendus). Prix Kaien 1988.
Mikage, l'héroïne, aime les réfrigérateurs et les cuisines (comme le titre l'indique en anglais). Elle s'y replie à la mort de sa grand-mère, son unique famille, et a la tentation d'une vie végétative. Mais elle en est sortie par un garçon étrange et sa mère - très beau personnage, original - qui l'invitent à habiter chez eux.
Les sociologues se sont penchés sur le succès phénoménal de ce livre, l'attribuant à la tentation de la jeunesse actuelle - et particulièrement japonaise - à être victime du syndrome de Peter Pan (ou syndrome "Tanguy" ?).
Mais ce n'est pas, loin de là, le thème principal du livre.
Le thème, c'est la perte de l'être aimé, et la nécessité de repartir, sans pour autant oublier le passé ni ce qui a été. Tout ceci n'est pas exempt parfois d'un certain puérilisme, ou au mieux d'un certain sentimentalisme. L'intérêt du livre n'est pas tant dans l'histoire (on pourra néanmoins s'abstenir de lire le laïus en quatrième de couverture qui raconte toute l'histoire : on se moque de nous !!) que dans les personnages, très vivants. D'ailleurs, au moment où l'on se dit que l'histoire s'essouffle un peu, elle s'achève et on enchaîne sur une jolie nouvelle fantastique (fantastique positif, pas menaçant) : Moonlight Shadow
(écrite en 1986 ; prix Izumi Kyoka).
Dans cette histoire, l'héroïne n'arrive pas à faire le "travail
de deuil" (comme on dit maintenant) de son fiancé. On y reconnaît le thème favori
de l'auteur, et on a de nouveau droit à des personnages intéressants. Le tout empreint de
mélancolie.
Un livre sympathique.
Avec La Ballade de l'Impossible (de Murakami Haruki, publié en 1987), c'est un livre qui marque une rupture dans l'histoire de la littérature japonaise.
Oé Kenzaburo a écrit (dans Oé par lui-même, cité dans Ecrire au Japon, Le roman japonais depuis les années 1980, de Ozaki Mariko, éditions Philippe Picquier, page 15) : "Ma façon d'écrire, c'est-à-dire dans un style propre à la langue écrite, est devenue dès lors un style ancien et les deux écrivains que sont Murakami Haruki et Yoshimoto Banana ont commencé à créer une nouvelle écriture de l'oralité."
- N*P (Rivages,
180 pages) (1990, publié en 1997. Traduction de Dominique Palmé et Kyôko Satô). Plus
d'un million d'exemplaires vendus au Japon. Le thème principal du roman est le suivant :
un écrivain japonais - mais émigré aux Etats-Unis - se suicide, laissant un recueil de
nouvelles. Le livre est publié aux Etats-Unis, mais pas au Japon, car la traduction de la
98° nouvelle pose problème : trois traducteurs successifs se sont suicidés avant
d'être parvenus au bout de leur tâche. Etrange, non ?
Dans N*P, l'héroïne a perdu l'usage de la parole pendant un certain temps, après une grippe. Les premiers jours, elle continuait de penser avec des mots mais, peu à peu, ils se sont effacés, et elle a commencé à "". C'est un poncif que de dire que les mots empêchent de voir ce qu'il y a derrière, la Signification Cachée. Mais elle le dit joliment. En fait, c'est assez puéril, avec de la philosophie à la petite semaine (vivez en regardant la nature autour de vous, en faisant le bien, etc.). Il est donc clair que le livre parle du poids des mots, de leur sens véritable dissimulé derrière une apparence différente due aux langues (japonais, anglais).
Pas un mauvais livre, mais beaucoup moins fort que Kitchen. Il reste néanmoins très agréable à lire.
- Lézard (1993,
traduit en 1999 par Dominique Palmé et Kyôko Satô, 131 pages. Rivages. Contient les six
nouvelles suivantes : Les Jeunes mariés, Lézard, La Spirale, Rêve
de Kinchi, Du Sang et de l'eau, Histoire curieuse des bords de la
rivière.
On notera que de manière parallèle à l'héroïne de N*P, celle de Lézard a
perdu la vue pendant trois ans (de cinq à huit ans). Sous ces apparences différentes,
c'est donc un des thèmes favoris de Yoshimoto Banana : la perte.
D'un sens, qui permet de
voir la vie autrement, ou bien d'un être cher (cf. Kitchen, Moonlight Shadow).
Dans les deux cas, la vie d'un personnage se trouve bouleversée et on bascule dans le
surnaturel, évident dans Moonlight Shadow, suggéré dans Lézard, en
fond dans Kitchen.
Il s'agit de "surnaturel léger" dans le meilleur des cas, mais qui peut se faire lourd (Les Jeunes Mariés, par exemple). Tant
qu'on en est dans les thèmes de Yoshimoto Banana, on peut remarquer que la mélancolie,
chez elle, se trouve dans le bleu du ciel, le vert des arbres (exemple page 67 de Lézard,
dans la nouvelle Rêve de Kimchi, on trouve "").
Ce recueil de nouvelles est assez inégal. Il n'est pas mauvais, mais
on ne sent plus la fraîcheur de Kitchen. Lézard sent un peu le renfermé.
- Le Dernier Jour (2000, traduit par Elisabeth Suetsugu, 120 pages), Ed.Philippe Piquier 2001.
Ce livre contient neuf nouvelles. Pour varier un peu le cadre de ses histoires, Yohimoto Banana a choisi l'Amérique du Sud, et plus particulièrement l'Argentine, un peu, et le Brésil, beaucoup.
L'ombre de la mort plane toujours, les histoires sont toujours écrites à la "première personne du féminin".
A l'occasion d'une visite en Amérique du Sud, dans le cadre du travail ou autre, la narratrice se remémore des souvenirs ou explicite par flash-back les raisons de sa venue. Il n'y a pas vraiment de chute, ce sont des vignettes pleines de nostalgie mais aussi vaguement optimistes : parce que même si la mort finit toujours par l'emporter, la vie c'est quand même chouette.
Et elle continuera sans nous, "". (page 69, nouvelle "Les Platanes") .
- Dur dur (Hard-boiled / Hard-Luck ; 1999). "Deux contes traduits du japonais par Dominique Palmé et Kyôko Satô" en 2001 Editions Rivages. 129 pages.
1/ Peau Dure (Hard-boiled ; 69 pages), Le premier des deux contes commence ainsi :
"" (page 11).
Il commence à se faire tard. La narratrice sent que des forces étranges sont à l'oeuvre (on songe fugitivement à la Nuit de Walpurgis, mais non) : " [...] " (page 13).
Elle va arriver à l'hôtel qu'elle a réservé.
Tout au long de sa promenade, puis à l'hôtel, elle va se remémorer des événements de son passé, et notamment de sa relation (non platonique) avec sa copine Chizuru :
"" (pages 47-48).
A un moment, Chizuru lui dit : "." (page 55). Dure à cuire, c'est Hard-boiled, le titre de la nouvelle. Et avoir une veine incroyable, c'est le contraire de Hard-Luck, le titre du deuxième conte.
2/ Dans le deuxième conte, Coup dur (Hard-Luck, 47 pages), on est de plain-pied dans une histoire de deuil (il y en avait aussi dans le conte précédent, mais ça arrivait plus tard).
"" (page 83).
La soeur de la narratrice a été victime d'une hémorragie cérébrale, plus ou moins consécutive à un excès de travail, alors qu'elle allait justement quitter ce travail pour se marier. Elle n'a pas eu de chance (Hard-luck, en anglais : c'est le titre).
C'est donc très triste, une fois de plus, parce que Yoshimoto Banana adore ça, les deuils. Est-ce une vraie fascination, quelque chose de sincère, ou bien est-ce un "truc" pour créer une atmosphère émouvante, d'autant plus qu'il s'agit de quelqu'un dans la fleur de l'âge ?
Toujours est-il que, une fois de plus, la narratrice se rend compte que, après un décès, le plaisir de vivre est encore possible, tout en n'oubliant pas les morts, bien sûr (combien de fois l'a-t-elle déjà écrit ? Mais, bien sûr, tout a déjà été dit, ce qui importe c'est la forme) :
""
(page 117).
Sakai, le frère de celui qui aurait pu être son beau-frère, lui plaît bien, à notre narratrice.
En plus, il a un travail original, il fait dans le taï-chi-chuan. C'est un autre thème Yoshimotien (ou Bananien, je ne sais pas ce que préconise l'Académie Française) : le désir d'originalité dans le quotidien. La narratrice du conte précédent s'entendait déjà prédire : "Ta vie ne sera pas banale". Ici, Sakai n'est pas comme les autres, et donc assez mal vu, alors qu'il possède de grandes qualités sous des aspects de marginal.
Aura-t-on une belle histoire, sachant que la narratrice prépare un voyage en Italie (pays où, comme par hasard - est-ce de la flatterie ? - , Yoshimoto Banana continue à remporter un grand succès - un peu comme Ogawa Yoko en France, chaque pays a décidément ses particularités - , les parutions continuant à se succéder alors que, chez nous, plus rien de nouveau n'est paru depuis ce Dur dur, en 2001) ?
Deux contes avec quelques larmes, des décès, et en même temps la conscience que la vie continue malgré tout, qu'on peut recommencer à vivre, à être heureux.
Un peu d'émotions tristes facilement mises en place - mais ça reste tout doux, Banana n'est pas là pour bousculer le lecteur - un peu de surnaturel, des pensées banales sur la vie et la mort...
Ces deux contes - et l'oeuvre de Yoshimoto Banana en général - semblent relever de la littérature adolescente, du easy-reading, pour user d'un wording anglais et ainsi rester dans la continuité des titres anglais que Banana Yoshimoto semble aimer.
Est-ce cela, la littérature "pop" ?
Et est-ce que l'auteur, depuis, a trouvé d'autres thèmes ?
Quelques livres non traduits en français (il sont très nombreux) :
- Mizuumi (2005)
-
Jûjû (2011)
Films d'après son oeuvre :
- Kitchen (1989), réalisé par Morita Yoshimitsu
- Tugumi (1990), réalisé par Ichikawa Jun
- Wo ai chu fang (1997), réalisé par Ho Yim
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Arugentin babâ (2007), réalisé par Nagao Naoki
Note : d'après
George Gottlieb (cf Un Siècle de Romans Japonais, très bon livre hélas
épuisé. Une réédition SVP ?), son écrivain préféré serait Truman Capote.
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