Littérature Japonaise
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Deuxième Japonais à obtenir le Prix Nobel de littérature, en 1994. Il est né dans un village - Ose, sur l'île de Shikoku- dans une vallée boisée. Comme il le dit dans son discours "Moi, d'un Japon ambigu" (1994), alors que la guerre faisait rage (elle avait commencé lorsqu'il avait 6 ans, et a fini lorsqu'il en avait 10), il était fasciné par deux livres : Les aventures d'Huckleberry Finn (Mark Twain) et Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (Selma Lagerlöf) qui lui donnaient le sentiment de justifier la sensation de sécurité qu'il avait lorsqu'il allait dans la montagne la nuit et qu'il dormait parmi les arbres , sensation de sécurité qu'il ne pouvait pas trouver entre quatre murs. Son père mourut en 1944, alors que Kenzaburo avait neuf ans. Il laissait sept enfants. A dix-huit ans, Ôé Kenzaburô commença des études de littérature française à l'Université de Tokyo. Il publie ses premières oeuvres en 1957. Gibier d'élevage obtient le prix Akutagawa. Ses textes ont pour sujets la guerre, les attentats (Seventeen, 1961), les problèmes sexuels, les pertes des repères traditionnels, la patrie mythique. Il se marie en 1960. En 1963 naît Hikari, un garçon - le premier de ses trois enfants - qui est autiste. Cette naissance a eu une grande influence sur l'oeuvre de Ôé : "A vingt-huit ans, mon fils est né. J'étais un écrivain, un écrivain assez connu sur la scène japonaise et j'étais étudiant en littérature française. Et je parlais de la façon de Jean-Paul Sartre ou Merleau-Ponty. [...] Mais lorsque mon fils est né avec de graves lésions cérébrales, j'ai découvert une nuit que je voulais trouver de l'encouragement, alors j'ai voulu lire mon livre - c'était la première fois que je lisais mon livre, le seul livre que j'avais écrit à ce moment-là - et j'ai découvert quelques jours plus tard que je ne pouvais pas m'encourager moi-même à travers mon livre ; donc personne ne pouvait y trouver de l'encouragement. Alors j'ai pensé « Je ne suis rien et mon livre n'est rien ». J'ai fortement déprimé ; puis un journaliste, qui éditait au Japon un magazine politique, m'a demandé d'aller à Hiroshima, le lieu où la bombe atomique avait été larguée. [...] J'ai trouvé l'hôpital des survivants d'Hiroshima et là, j'ai rencontré le grand docteur Fumio Shigeto. En parlant avec Shigeto et avec les patients de l'hôpital, j'ai réalisé petit à petit qu'il y avait quelque chose qui m'encourageait, alors j'ai voulu poursuivre la sensation de ce quelque chose. Je suis retourné à Tokyo et suis allé à l'hôpital où se trouvait mon nouveau-né, et j'ai parlé aux docteurs de sauver mon fils. Puis j'ai commencé à écrire sur Hiroshima, et ça a été le tournant de ma vie. Une sorte de renaissance de moi-même. [...] Shigoto m'a dit « Nous ne pouvons rien pour les survivants. Même aujourd'hui nous ne savons rien sur la nature de la maladie des survivants. Même aujourd'hui, si peu de temps après le bombardement, nous ne savons rien, mais nous avons fait ce que nous pouvions. Chaque jour des milliers de personnes meurent. Mais au milieu de ces corps morts, j'ai continué. Voyez, Kenzaburo, que puis-je faire à part ça, alors qu'ils ont besoin de notre aide ? Maintenant, votre fils a besoin de vous. Vous devez réaliser que personne sur cette planète n'a besoin de vous, excepté votre fils. » Alors j'ai compris. Je suis retourné à Tokyo et j'ai commencé à faire quelque chose pour mon fils, pour moi-même, et pour ma femme." (modeste traduction fragmentaire de http://globetrotter.berkeley.edu/people/Oe/oe-con3.html ). Finalement, après des années difficiles, Hikari est devenu un compositeur à succès (voir le petit documentaire en bas de page). Ôé Kenzaburô avait annoncé, en 1994, qu'il arrêterait d'écrire des romans : "A l'approche de 60 ans, je me suis aperçu que, depuis l'époque où j'étais étudiant, j'avais écrit des romans et que toute ma vie avec été centrée sur l'écriture. J'ai pensé qu'en arrêtant je pourrais réfléchir sur ce qu'a été l'essence de mon existence et préparer ainsi l'hiver de ma vie. La mort, en 1996, de mon ami le compositeur Toru Takemitsu, m'incita à me demander si un jour nous nous rencontrions dans l'au-delà et qu'il m'interroge sur ce que j'avais fait de ma vie, ce que je lui répondrais. Et j'ai commencé à lire, à lire du matin au soir. Puis la disparition d'autres amis chers m'a ramené vers le roman. L'écriture de cette trilogie m'a occupé les cinq dernières années de ma soixantaine. L'Enfant échangé, le premier de la trilogie, a été écrit à la suite du suicide de mon ami d'enfance et beau-frère, le cinéaste Juzo Itami, en 1997." (Le Monde des Livres, vendredi 25/11/2005). Il est également un écrivain engagé, notamment contre la montée de l'"ultra-nationalisme" au Japon. Il s'oppose ainsi à la remise en cause de l'article 9 de la constitution japonaise (article qui interdit au Japon de posséder une armée... même si l'article est contourné depuis longtemps en employant le terme de "Force d'autodéfense"). "Le style fondamental de mon écriture a été de partir de mes problèmes personnels et de les relier avec la société, l'état, et le monde" ( http://globetrotter.berkeley.edu/people/Oe/oe-con5.html) On pourra trouver une biographie de Ôé Kenzaburô sur http://www.biblioweb.org/-OE-Kenzaburo-.html Il répond au questionnaire de Proust sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/questionnaire-de-proust-kenzaburo-oe_811076.html Une Affaire personnelle (Kojinteki na taiken, 個人的な体験, 1964, 179 pages, Bibliothèque Cosmopolite, Stock, traduction de l'anglais par Claude Elsen). Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants (Memushiri kouchi, 芽むしり仔撃ち, 1958), traduit par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty. 234 pages. L'Imaginaire Gallimard. Une Existence tranquille (Shizukana seikatsu, 静かな生活, 1990). Récit traduit du japonais par Anne Bayard Sakai. 289 pages. Folio. "Cela se passe l'année où mon père fut invité comme writer in residence par une université californienne et où, pour diverses raisons, ma mère choisit de l'accompagner." (page 9). Le père étant parti aux Etats-Unis, et la mère l'ayant accompagné (car K traverse une crise moralo-spirituelle profonde), c'est Mâ qui doit s'occuper de quasiment tout, son petit frère Ô étant concentré sur la préparation d'un concours. En plus des cours auxquels elle doit assister, elle doit s'occuper de la cuisine et du ménage, sans compter qu'il faut accompagner Eoyore à l'atelier des services sociaux où il travaille, ainsi que chez un ami du père qui lui donne des cours de composition... et guetter les signes qui indiquent une crise imminente (de nature épileptique). Ecoutons quelques musiques d'Hikari Oé. A gauche : Adagio en ré mineur pour flûte et piano ;
"Grief" (chagrin) no 3 pour piano ; nocturne n° 2 pour flûte et piano. Le portrait du père, le fameux écrivain, se dessine par les yeux de Mâ. Il se doit de "prouver à tous sa dignité de chef de famille." (page 48). Plus loin, Mâ dit que "parler avec mon père, je dois l'avouer, me rebute" (page 182). Pas très glorieux. Tout cet auto-dénigrement rappelle un peu certains livres de Shusaku Endo. En l'absence de ses parents, Mâ tient le "journal au titre de la maison" : elle y consigne les petits faits quotidiens. Elle écrit aussi des lettres à ses parents, et en reçoit. Exceptionnellement, elle téléphone ou reçoit un appel (ça coûte cher).
Et voilà qu'un satyre est signalé dans le voisinage, et qu'une agression sexuelle a lieu... Dans cette histoire, quelle est la part de réalité ? Quelle est celle de fiction ? (précisons que Mâ avait l'âge de la fille d'Oé dans la vraie vie). Tout ce petit monde est bien sympathique. Les conversations, (notamment celles avec l'ami du père), sont très intéressantes. Par exemple, ce qu'ils disent de Stalker, le film de Tarkovski, dans le troisième chapitre. Mais le livre paraît à charge contre le père. Ce point de vue (celui de la fille de l'écrivain) est très étrange. Que signifie ce roman ? Voici ce qu'en dit Ozaki Mariko :
Par contre, l'adaptation qu'en a faite Itami Jûzô (pourtant réalisateur de bons films, comme Tampopo, ou encore L'Inspectrice des Impôts...) en 1995 est malheureusement un ratage quasi complet. Les acteurs en font des tonnes, rien n'est subtil, et ce qui est censé être drôle est grotesque. Il y a quelques différences avec le roman (par exemple le père va en Australie, et pas aux Etats-Unis, peut-être que les vues de l'opéra de Sydney coûtaient moins cher) ; les discussions sur Stalker, Céline, etc. passent évidemment à la trappe, mais les faits principaux sont là. N'empêche que c'est raté, que rien ne fonctionne. "Bientôt, on commença à « améliorer » ses films pour en faire une sorte de formule, une production « Itami ». Parmi les échecs (à la fois commerciaux et artistiques) qui en découlèrent, on compte Une existence tranquille (Shizukana seikatsu, 1995), inspiré de la vie et l'oeuvre du beau-frère du réalisateur, l 'écrivain Kenzaburo Oé" (Donald Richie, Le Cinéma Japonais, Editions du Rocher, page 281) Hikari Oé est l'auteur de la musique (il a été nominé aux Awards of the Japanese Academy !).
Films d'après son oeuvre :
Liste des livres ayant reçu le Prix Kenzaburo Oé : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Kenzaburō_Ōe
Petit documentaire sur Hikari Oé :
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