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MISHIMA Yukio
(Tôkyô 1925-1970)


mishima yukio

De son vrai nom Hiraoka Kimitake, est-il nécessaire de présenter Mishima, sans doute le plus connu - et le plus édité - des écrivains japonais ? Voici néanmoins sa vie résumée en quelques lignes.
Homosexuel de bonne famille (sa grand-mère appartenant à la caste des samourais), très bon élève, il fait des études de droit et est réformé pour cause de constitution délicate. Il se consacre à la littérature à la fin des années 1940, son premier roman à l'allure d'autobiographie, Confession d'un masque, paraissant en 1949. Il y aborde le thème de l'homosexualité.

Il publie de nombreux romans.
Après un voyage en Grèce, il se met à remodeler son corps chétif grâce à un entraînement très strict et notamment la pratique des arts martiaux.
En 1957, Mishima épouse Sugiyama Yôko, dont il aura deux enfants.

Son grand oeuvre est la tétralogie connue sous le titre général de La Mer de la Fertilité. Après en avoir achevé le dernier roman, le 25 novembre 1970, Mishima tente un coup d'état avec des membres de la Société du Bouclier (qu'il avait créée en 1968), dont le but est de revenir aux valeurs militaires traditionnelles.
Mishima, 1970  mishima 1970  
Devant l'échec de l'insurrection (on le voit haranguer des soldats, du haut du bâtiment qui
qui avait abrité le tribunal de Tôkyô, sans grand succès : "C'est quoi, défendre le Japon ? C'est défendre l'empereur au coeur de l'histoire et de la culture traditionnelle. Si vous, les forces d'autodéfense, vous ne réagissez pas, la Constitution ne sera jamais réformée. Vous, samouraïs, pourquoi défendez-vous l'article 9 qui nie votre existence ?" ), il se fait seppuku dans son quartier général à Tôkyô. Ce suicide spectaculaire est pour beaucoup dans la reconnaissance internationale de son oeuvre.
Il est fascinant de penser que La Mer de la Fertilité, celui sur lequel Mishima a travaillé pour ainsi dire jusqu'au bout, est entièrement sous-tendu, architecturé, par la notion de réincarnation...

la mort en été


- La Mort en Eté (305 pages, folio, traduit de l'anglais par Dominique Aury). Ce livre contient dix nouvelles, d'intérêt divers.
La Mort en Eté, qui donne son titre au recueil, montre les conséquences d'un deuil tragique (la mort de deux enfants) sur un couple. La vie "après" peut-elle reprendre ? et même, doit-elle reprendre ?

Trois millions de Yens est une nouvelle triste, presque sordide dans lequelle on voit jusqu'où peut aller un couple pour parvenir au bonheur qu'il a planifié (achats divers, enfant...) et qui coûte forcément de l'argent.

Bouteilles Thermos est également bien, mais pas spécialement gaie non plus.

Puis viennent Le Prêtre du temple de Shiga, nouvelle franchement un peu longue, Les Sept Ponts, vraiment trop longue, et la meilleure nouvelle du recueil, Patriotisme : cette nouvelle décrit méticuleusement le suicide traditionnel par seppuku d'un lieutenant et de sa femme. Très précise sans sombrer dans le gore gratuit, très forte, cette nouvelle est forcément d'autant plus intéressante que l'on sait de quelle façon l'auteur est mort.
Toutes les difficultées rencontrées, la douleur, la volonté nécessaire à la réalisation d'un tel acte, résonnent forcément de manière encore plus aiguë. Il faut noter que cette nouvelle a été portée à l'écran avec Mishima lui-même dans le rôle du lieutenant (voir en bas de page la section "films")

Dojoji
, la nouvelle suivante, est une petite pièce de théâtre vraiment mineure. Onnagata est une nouvelle plus intéressante qui porte sur le milieu du Kabuki.

La perle
analyse de façon cocasse les relations et les piques entre femmes d'une quarantaine d'années.

Les langes, finalement, traite d'une femme "hypersensible" qui s'interroge sur son mariage avec un acteur à travers une histoire arrivée à leur nurse.

Ce recueil de nouvelles assez diverses mais néanmoins traversées de thèmes communs (propension au masochisme, aucune illusion sur rien et surtout pas le couple, psychologie torturée, surtout chez les femmes) est donc intéressant ne serait-ce que pour Patriotisme, qui éclipse toutes les autres nouvelles.

Il faut signaler que son plus gros défaut réside dans sa traduction depuis l'anglais. Traduire un texte de l'anglais (ici à la demande de l'auteur), lui-même traduit du japonais conduit à des horreurs, sauf erreur de ma part : ainsi, page 173, le lieutenant entre dans le "living-room" ! yes my dear ! en 1936 dans une maison traditionnelle japonaise !!
Puis page 246, Mishima parle d'une pièce de théâtre Kabuki : "... pour jouer Lady Hinaginu" !! A croire qu'un personnage de MacBeth s'est échappé pour aller jouer dans le théâtre Kabuki ! Lady !!! En page 112, on peut lire "cent billions", ce qui fait peur, "billion" en anglais se traduisant par "milliard" en français, un billion étant un million de millions (faux amis appris à l'école). Qu'en était-il de l'original japonais ?
Ce sont les problèmes les plus flagrants, mais tout ce recueil "sent" malheureusement très souvent la traduction, ce qui gâche beaucoup le plaisir de la lecture. Mais c'est (hélas !) la majeure partie de l'oeuvre de Mishima disponible en français qui est traduite de l'anglais...
A quand une nouvelle traduction établie d'après le japonais ? S'il vous plaît, Messieurs les Editeurs ?

l'école de la chair

 

- L'Ecole de la chair (Nikutai no gakko ; 1963 ; 289 pages, folio, traduit du japonais en 1993 par Yves-Marie et Brigitte Allioux).
Le roman commence ainsi :
"Les femmes divorcées semblent devoir se lier naturellement entre elles, et Taéko Asano, avec son petit clan, ne faisait pas exception à cette règle.
Au Japon, la situation de divorcée est différente de celle qu'on trouve dans un pays comme les Etats-Unis, et il est assez rare d'y rencontrer ce qu'on pourrait appeler des parvenues du divorce. Mais les trois membres du petit groupe menaient une vie libre et aisée qui passait même aux yeux du monde pour être très agréable.
Taéko avait un magasin de couture, Kawamoto Suzuko tenait un restaurant, Matsui Nobuko s'occupait de critique de cinéma ou de critique de mode. Toutes trois, avant la défaite, faisaient partie de la plus haute société japonaise.
" (page 9).

Mishima est très acide envers le milieu chic qui est vu, dans le roman, lors d'une réception dans une ambassade, un défilé de mode... C'est très amusant et très réussi.
Un exemple :
"Puis Taéko, en deux ou trois mots flatteurs sur cette robe « si seyante », félicita l'ambassadrice, qui lui rendit le compliment avec un plaisir évident, et pourtant, si l'on y songe... quel commerce vraiment étrange que celui qui consiste à réjouir ses clients en les complimentant de ce qu'ils vous ont acheté !" (pages 13-14).
Il y a des "pigeons en vue" ! (page 19). Elle perce rapidement la psychologie de ces riches femmes... et futures clientes.

Taéko, comme ses copines, multiplie les conquêtes, année après année. Ce ne sont plus des minettes. Chacune ses goûts. Elle, Taéko, n'aime pas les occidentaux.
"En plus, Taéko détestait la peau des hommes étrangers, cette peau de poulet qui laisse voir par transparence la couleur du sang, cette peau qui vieillit horriblement vite et qui paraît si sale." (page 16).
Et puis, elle dit :
"- Les jeunes Américains sont arrogants, tout imbus d'eux-mêmes, et collants : non merci, je n'en veux pas. Ah, si le Japon avait été occupé par l'armée italienne, ce serait autre chose !" (page 95).

Régulièrement, Taéko et ses copines mangent ensemble, et elles se racontent leurs aventures.
Subitement, Suzuko (la restauratrice) s'exclame :
"« Tenez, l'autre jour, je suis allée dans un bar d'homosexuels !
- Et alors, ça n'a rien d'extraordinaire !
- [...] il y avait un barman formidable. Bien dans le genre de Taéko, je crois...
- Qu'est-ce que tu dis ? Un garçon qui travaille dans un bar pour homosexuels ? Rien que d'entendre ça, ça me dégoûte !
- Tu n'y es pas ! Il n'a absolument rien d'efféminé ! Derrière son comptoir, c'est le mâle dans toute sa splendeur, et il le fait sentir.
" (page 28).

 

Nos copines vont donc dans le bar pour vérifier sur place. Et Taéko va trouver le barman bien à son goût.

Les problèmes vont alors commencer : entre le jeune barman et elle vont se créer des relations qui rappellent parfois un peu Un amour insensé, de Tanizaki (pour le côté tordu)... sauf que, ici, c'est encore plus compliqué. Senkitchi, le barman, est fier de sa beauté, et Taéko a envie de le rabaisser. Tout en l'aimant, en voulant l'éduquer. Lui faire un peu de mal, l'humilier un peu, ça pourrait lui faire du bien. "Elle voulait lui apprendre que, dans le monde normal, un simple étudiant, fût-il beau comme un dieu, n'avait aucun pouvoir [...]". (page 127).
C'est à voir !

Leur sorte de duel, fait de manipulations et de coups tordus, est réjouissant.

 

Comme on lui dit à un moment : "Pour quelqu'un de votre condition qui ne devrait avoir aucun problème dans la vie, rechercher la difficulté comme vous le faites, c'est vraiment le comble du luxe !" (page 98).

Eh oui, elle va s'en créer, des difficultés... Sacré jeune homme, ce Senkitchi !

 

L'Ecole de la chair est vraiment un très bon roman.

 

L'adaptation au cinéma de Benoît Jacquot en 1998 est bonne, également, mais le livre est supérieur. Il est intéressant de voir les modifications effectuées : le patchinko, par exemple, est remplacé par les jeux d'arcade.

 

 

cinq no modernes

- Cinq nô modernes (Kindai Nogaku-Shu, 1956). Traduit du "japonais" en 1984 par Marguerite Yourcenar avec la collaboration de Jun Shiragi. Avant-propos (1991) de Marguerite Yourcenar. NRF Gallimard. 168 pages.

Dans son avant-propos, Marguerite Yourcenar écrit, en parlant du nô : "Bien des gens l'entrevoient surtout grâce au bel et fracassant essai de Claudel, qui tout à la fois simplifie et exagère : « Le drame grec, c'est quelque chose qui arrive ; le Nô, c'est quelqu'un qui arrive. » En quête de formule mémorable, on pourrait s'en tenir à celle-là. On pourrait aussi assurer que les Cinq Nô modernes de Mishima, comme toute oeuvre de poète authentique, peuvent et doivent être appréciés pour eux-mêmes, sans référence aux Nô d'un lointain passé. Ce serait pourtant se priver des harmoniques que le poète a su garder ou faire naître." (page 3).

Yourcenar évoque les différences avec le Kabuki. "Le Kabuki, plus jeune au moins de trois siècles, ne nous concerne pas ici, sauf pour s'émerveiller qu'un même peuple ait pu tirer de soi deux formes théâtrales aussi antithétiques, le Nô allusif, dévotionnel, symbolique, nostalgique, à la fois rigide et compliqué, le Kabuki luxueux, surabondant, regorgeant de réalisme mélodramatique, gorgé de maisons closes, de ventres ouverts et de têtes coupées." (page 4 ; j'aime beaucoup cette énumération qui pourrait sembler une opposition : "maisons closes, ventres ouverts" ; de plus, on a en quelque sorte trois parties du corps : "gorge", "ventre" et "tête").

Plus loin : "C'est néanmoins le bouddhisme, installé au Japon depuis le VII° siècle, qui imprègne et pour ainsi dire lubrifie la pensée du Nô, l'humecte de sa compassion en présence des agitations infinies des êtres, de son sens du peu que nous sommes au sein de cette vaste nébuleuse qu'est le Tout, de la notion du salut définitif ou d'un répit au moins temporaire sur la route de la salvation.
Le surnaturel - mot mal choisi à l'intérieur d'une foi où les formations matérielles et celles de l'esprit ne font qu'un - baigne tout." (pages 5-6).
"Dans un monde où tout flotte et change de forme, passion et douleur ont l'évanescence d'un songe." (page 7).
Mishima a conservé les titres de grands Nô, et dans une certaine mesure leur sujet, mais en a écarté l'élément sacré.
Mais : "La carence la plus totale est celle de la compassion bouddhique qui imprégnait si tendrement les vieux textes." (page 14).



1/ Le premier Nô, Sotoba Komachi (24 pages), se déroule dans un parc. Un jeune poète un peu saoul rencontre une "vieille femme répugnante" qui ramasse des mégots et les compte (à bien y réfléchir, elle fait penser - en plus "sale" - à Atropos, l'une des trois Parques). Même sans regard oblique, elle fait fuir les amoureux des bancs publics.
Le poète discute avec elle.
"
LA VIEILLE : Tu m'ennuies. Tout ce que tu as à dire est que ma présence les dégoûte, n'est-ce pas ?
LE POETE : Non. Mais je la trouve une profanation.
LA VIEILLE : Les jeunes aiment argumenter.

LE POETE : Je suis exactement ce dont j'ai l'air, un poète de deux sous, sans même une petite amie. Mais si je respecte quelque chose, c'est ce monde reflété dans les yeux des jeunes gens qui s'aiment, un monde cent fois plus beau qu'il ne l'est en réalité." (pages 29-30). Il semble savoir quelle est la vraie beauté des choses. Mais peut-être se surestime-t-il ?
Pour la vieille, la réalité n'est pas ce qu'elle semble être, mais peut-être est-ce par anticipation : pour elle, ces amoureux sont déjà morts.
"
LA VIEILLE : [...] Regarde : ils sont livides dans la lumière filtrée par les feuilles vertes... Ces hommes et ces femmes ont les yeux fermés... Tu ne te rends pas compte qu'on dirait des cadavres ?... Ils sont morts en faisant l'amour. (Elle flaire autour d'elle :) Ça sent les fleurs. Oui, les fleurs du parc sentent la nuit, comme les fleurs dans un cercueil. Les amoureux sont enterrés comme des morts dans l'odeur des fleurs. Toi et moi, on est les seuls survivants." (page 31).

Le temps va se brouiller, la vieille devenir jeune et belle... peut-être.
Marguerite Yourcenar, commentant ce Nô, cite un proverbe confucéen : " « Apprendre une vérité le matin et mourir le soir suffirait »" (page 15).
Il y a une bonne atmosphère, le brouillage temporel est bien amené.



2/ Dans le deuxième nô, Yoroboshi (28 pages), deux couples se disputent la garde d'un jeune homme. Le couple des parents adoptifs l'avait trouvé jeune garçon, après la guerre, et l'avait recueilli. L'autre couple est ses vrais parents qui viennent de retrouver sa trace. Mais le jeune homme est dérangé. Pour lui tout n'est que flammes, ses yeux ont été brûlés lors de bombardements aériens ("cette flamme, cette flamme de la fin de ce monde", continue à les brûler), il est aveugle.

Shinako est membre du Conseil d'arbitrage. Elle règle les problèmes, aplanit les difficultés. "Pour moi, les volutes de la colère sont seulement l'équivalent des veines de l'agate, et les flots violents d'un torrent sont une sculpture sur cristal." (page 59).

Les parents adoptifs l'ont élevé dans le luxe, et lui passent tous ses caprices, notamment de prétendre voir ce qu'il leur dit de voir.
"TOSHINORI : Mes parents adoptifs sont mes esclaves. Les autres sont d'irréparables imbéciles." (page 70).

Tout est un peu poussé dans ce nô ; à la violence des bombardements répond la violence du mépris de Toshinori pour ceux qui voient autre chose que la fin du monde ("Car ce que je vois est bien un monde en proie aux flammes.", page 73), et on a du mal à comprendre l'attachement de tout le monde à son égard. Ça reste un peu théorique.



3/ Dans Le Tambourin de soie (35 pages), un vieux portier est amoureux d'une jolie femme qu'il a vue dans l'immeuble en face du sien. Il lui écrit lettre sur lettre.
Ici, il parle avec Kayoko, une secrétaire :
"IWAKACHI : Il est dur d'aimer sans être aimé.
KAYOKO : Vous n'avez pas le bon sens d'y renoncer.
IWAKACHI : Je tâche parfois d'oublier. Mais je constate que tâcher d'oublier est pire que ne pas pouvoir oublier. Les deux sont durs, mais ne pas pouvoir oublier vaut mieux
." (page 86).

Le vieux portier est donc amoureux de celle qu'il a vu apparaître une seconde à sa fenêtre et qui, preste, s'est évanouie, mais dont la svelte silhouette est si gracieuse et fluette qu'il en est demeuré épanoui (comme dirait Antoine Pol).

"KAYOKO : Elle n'est pas si belle que cela, mais je dois dire qu'elle est merveilleusement habillée.
IWAKACHI : L'amour n'en juge pas ainsi. C'est dans le miroir de notre laideur que nous voyons resplendir l'être aimé.
" (page 87)

Un groupe de snobs va se moquer de lui. Probablement le meilleur des cinq nôs, avec celui qui suit.



4/ Aoi (25 pages) se déroule dans un hôpital. Un homme arrive dans une chambre, il va au chevet de sa femme, qui dort profondément. Elle est malade, elle souffre.
Il se fait tard, l'infirmière qui l'avait accompagné part lorsqu'une femme mystérieuse arrive, comme tous les soirs.
"Contrairement à ce qui se passe le jour, mon corps la nuit est libre. Tout dort, les gens et les objets inanimés, tous ensemble. Et durant leur sommeil, ils sont pleins de fissures et de crevasses ; il est facile de passer à travers eux. Même le mur que vous franchissez ne s'en aperçoit pas. Que pensez-vous qu'est la nuit ? La nuit est le moment où toutes les choses vivent intimement ensemble. Le jour, la lumière et l'ombre sont en guerre, mais, le soir venu, la nuit dans la maison joint les mains avec la nuit du dehors. Elles sont pareilles... L'air de la nuit est complice : la haine et l'amour, la joie et la peur joignent les mains dans l'air de la nuit. L'assassin dans le noir éprouve de l'affection pour la femme qu'il a tuée." (pages 129-130).
Le temps s'embrouille, le mari revit un certain épisode, "un grand yacht à voile entre en scène"... C'est le seul des cinq nô dans lequel le surnaturel cherche à nuire... C'est poétique et cruel, et joliment mis en scène, même sur le papier.


5/ Dans Hanjo (22 pages), Jitsuko, une femme peintre de quarante ans héberge Hanako, une ancienne geisha, qu'elle a rachetée. Hanako attend le retour d'un homme avec qui elle a échangé son éventail. A force d'attente, elle est devenue folle.
"JITSUKO : Je n'ai connu Hanako que depuis qu'elle a perdu l'esprit. C'est ce qui l'a rendue suprêmement belle. Les vulgaires rêves qu'elle faisait quand elle était dans son bon sens ont été purifiés, et sont devenus étranges, d'invaluables joyaux situés au-delà de votre capacité de comprendre." (page 163). ("invaluable" fait un peu calqué de l'anglais, quand même...).
Une petite pièce assez simple. Peut-être la moins bonne des cinq.

 

 

Globalement, ce sont cinq bonnes pièces, très bien écrites, variées, et originales pour un lecteur français (en tout cas pour ceux qui n'ont pas lu Zeami ? Mais, même, Mishima a semble-t-il modifié énormément les trames de base).

 

 

Le compositeur japonais contemporain Toshio Hosokawa (né à Hiroshima en 1955) a composé un opéra sur Hanjo en 2004 :

 

 

 

la mort de radiguet   lamort de radiguet, version japonaise

 

- La Mort de Radiguet (Radige no shi, "Tokyo, 25 septembre 1953"). Nouvelle traduite du japonais en 2012 par Dominique Palmé. NRF. 35 pages (texte en français, suivi ou précédé, selon le point de vue, du texte en japonais). Hors commerce, édité à l'occasion du Salon du Livre 2012.
En exergue, on trouve une citation de Raymond Radiguet : "Ceci est une fausse biographie qui a toutes les apparences du Vrai".
Puis la nouvelle commence :
"
En 1924, Jean Cocteau avait trente-cinq ans. Comme il séjournait à Villefranche, à l'extrémité Est d'un rivage de mer bleu ardoise, il avait pris l'habitude, chaque soir, de venir s'asseoir seul devant le port.
Grâce à cette habitude vespérale, Cocteau connaissait l'ordre dans lequel les étoiles commencent à briller. [...]
Le 12 décembre de l'année précédente, Raymond Radiguet était mort dans une clinique parisienne de la rue Piccini et, depuis lors, le coeur de Cocteau était perpétuellement en crise.
" (page 9).
Puis suit une petite biographie de Radiguet, Mishima cite un "
essai récent du critique R.M. Albérès"... L'effet est curieux, on s'attendait à une nouvelle, on a finalement une biographie novellisée.
"
Alors que la Grande Guerre touchait à sa fin, Max Jacob avait présenté à Cocteau un jeune inconnu.
Le poète Jacob était un homme grassouillet, aux faux airs de curé de campagne. Quant au garçon qui l'accompagnait, il sortait de l'ordinaire : petite taille, cheveux hirsutes, et ce teint livide qui, d'après Lombroso, est « celui du génie ». Il portait un veston mal ajusté et, l'air arrogant, tenait une canne sous le bras. Dans son allure, Cocteau découvrit cette « morgue propre aux élèves paresseux » qu'il s'était plu déjà à évoquer.
" (pages 11-12).

Dans le présent du début du texte, Max Jacob parle avec Cocteau de Radiguet, décédé. Et on a, en flash-backs, quelques scènes de leur vie commune, à Radiguet et Cocteau. Leur problème d'insomnie, quelques conversations... Et Radiguet tombe malade.
Radiguet vient d'écrire Le Bal du Comte d'Orgel.
Cocteau lui dit :
"- Moi, j'y vois un chef-d'oeuvre, cela ne fait aucun doute. Pourtant, écrire un tel roman à vingt ans, c'est une redoutable trahison envers la vie. C'est aussi le signe que tu méprises ses lois. Etant un peu plus âgé que toi, j'ai pu voir quelles vengeance cruelle la nature exerce contre ceux qui enfreignent ces lois. La vie, c'est la danse de l'équilibriste sur sa corde. En écrivant Le Bal à vingt ans, tu as rompu l'équilibre. Comment vas-tu t'y prendre pour le trouver ? C'est d'autant plus ironique que Le Bal est justement l'oeuvre dans laquelle cet équilibre parfait est constamment préservé. »" (page 29).


"Le 9 décembre, le jeune homme, remuant des lèvres fendillées par la fièvre, déclara à Cocteau :
« Ecoute, il se passe une chose terrible. Dans trois jours, je vais être fusillé par les soldats de Dieu. »
Cocteau, qui se sentait étouffer de larmes, essaya de persuader Radiguet du contraire, en inventant des renseignements médicaux. Radiguet, les yeux fixés au plafond, reprit en haletant :
« Tes renseignements ne sont pas aussi exacts que les miens. L'ordre m'a été donné. J'ai entendu l'ordre. »
" (page 32).

Une recherche sur wikipedia, permet d'avoir un extrait de la préface de Cocteau au Bal ; il parle de la mort de Radiguet :

"« Voici ses dernières paroles :
“ Écoutez, me dit-il le 9 décembre, écoutez une chose terrible. Dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu ”. Comme j’étouffais de larmes, que j’inventais des renseignements contradictoires : “ Vos renseignements, continua-t-il, sont moins bons que les miens. L’ordre est donné. J’ai entendu l’ordre. ”
Plus tard, il dit encore : “ Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur. ”
Je lui demandai s’il fallait les chasser. Il répondit : “ Vous ne pouvez pas les chasser, puisque vous ne voyez pas la couleur. ”
Ensuite, il sombra.
Il remuait la bouche, il nous nommait, il posait ses regards avec surprise sur sa mère, sur son père, sur ses mains.
Raymond Radiguet commence. »"

Mishima cite parfois des textes de Cocteau, un poème (extrait de l'Ange Heurtebise)...
Peut-être ce texte un peu appliqué, documenté (les dialogues manquent souvent de naturel), qui hésite entre plusieurs genres, a-t-il été écrit dans le but de faire connaître Radiguet et Cocteau ?

La nouvelle n'est pas inintéressante, mais paraît un peu anecdotique dans l'oeuvre de Mishima.

C'est quand même un bon choix dans le cadre du Salon du Livre, puisqu'il montre évidemment l'intérêt que peut porter un écrivain japonais à la littérature française.

villefranche

Détail (photo S. Held ©) de la très belle fresque de la Chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer, oeuvre de Cocteau, 1957, empruntée au site http://www.le-sud-jean-cocteau.org/route_jean_cocteau/chapelle_saint_pierre.html

 

 


Egalement disponibles en français :
- Confession d'un Masque (1949)
- Une soif d'Amour (1950)
- Les Amour Interdites (1951)
- Le Tumulte des flots (1954)
- Le Pavillon d'Or (1956)
- Après le Banquet (1960)
- L'Arbre des Tropiques (1960)
- Le Marin rejeté par la Mer (1963)
- La Musique (1965)
- Madame de Sade (théâtre, 1965)
- Pèlerinage aux Trois montagnes (nouvelles, 1946-1965)
- Une matinée d'amour pur (sept nouvelles, 1946-1965)
- Neige de Printemps (1965, La Mer de la fertilité, volume 1)
- Chevaux échappés (1967, La Mer de la fertilité, volume 2)
- Le Japon moderne et l'éthique samouraï (1967)
- Le Temple de l'Aube (1969, La Mer de la fertilité, volume 3)
- L'Ange de la Décomposition (1970, La Mer de la fertilité, volume 4)
- Le Lézard Noir (adaptation pour le théâtre du Lézard Noir d'Edogawa Rampo, 1969)
- Le Soleil et l'Acier (essai, 1968)

On notera que Marguerite Yourcenar a consacré un essai à l'auteur intitulé Mishima ou la vision du vide (disponible chez Folio).


Films d'après l'oeuvre de Mishima :
- Shiosai (d'après Le Bruit des Vagues, 1954) réalisé par Senkichi Taniguchi.
- Nagasugita haru (1957) réalisé par Shigeo Tanaka
- Bitoku no yoromeki (1957) réalisé par Kô Nakahira
- Enjo (Le Pavillon d'Or, 1958) réalisé par Ichikawa Kon (également auteur de la Harpe de Birmanie et Feux dans la Plaine). Il a réalisé un autre film d'après Mishima en 1986 (voir plus bas).
- Ojôsan (1961), réalisé par Taro Yuge.
- Kurotokage (d'après Le Lézard Noir, 1962), réalisé par Umeji Inoue.
- Kemono no tawamure (1964), réalisé par Sokichi Tomimoto.
- Ken (d'après la nouvelle Le Sabre, 1964), réalisé par Kenji Misumi (surtout connu pour Zatôichi monogatari, 1962).
Pas tout à fait un chef-d'oeuvre, mais pas le moins bon film du réalisateur. Il bénéficie d'une très belle photo en noir et blanc.

ken   
- Nikutai no gakko (L'Ecole de la Chair, 1965), réalisé par Ryo Kinoshita

- Yukoku (Patriotisme, 1965), réalisé par Masaki Domoto et Mishima Yukio, dans lequel il joue lui-même le rôle du lieutenant Takeyama Shinji ! Il dure 30 minutes et il paraît qu'il est bien gore... Le tout avec le Liebestod tiré du Tristan et Isolde de Richard Wagner : on pourra en voir un extrait sur http://www.youtube.com/watch?v=z2j_667LG24.
patriotisme
- Die Hundertste Nacht ("La centième nuit", en français, 1966), téléfilm allemand de Frank Guthke.
- Ai no kawaki (1966), réalisé par Koreyoshi Kurahara.
- Kurotokage (d'après Le Lézard Noir), réalisé par le grand réalisateur Fukasaku Kinji, auteur de films aussi connus que Battle Royale (2001), Guerre des Gangs à Okinawa (1971), Tombes de Yakuzas et Fleurs de Gardénias (1976), etc. Mishima lui-même y joue un petit rôle (la statue humaine) ! Ce film, réalisé en 1968, est sorti aux Etats-Unis en 1969, et en France en 1984.
kurotokage
- Kuro bara no yakata (1969), réalisé de nouveau par Fukasaku Kinji.
- Shiosai (d'après Le Bruit des Vagues, 1971), réalisé par Moritani Shirô.
- Ongaku (1972), réalisé par Masumura Yasuzo.
ongaku   ongaku
- Shiosai (d'après Le Bruit des Vagues, 1975), réalisé par Nishikawa Katsumi
- The Sailor Who Fell from Grace with the Sea (d'après Le Marin Rejeté par la Mer, 1976) réalisé par Lewis John Carlino. Avec Sarah Miles, Kris Kristofferson
- Kinkakuji (d'après Le Pavillon d'Or, 1976), réalisé par Takabayashi Yoichi.
- Shiosai (d'après Le Bruit des Vagues, 1985), réalisé par Kotani Tom.
- Rokumeikan (1986), réalisé par Ichikawa Kon
- Markisinnan de Sade (1992), téléfilm réalisé par Ingmar Bergman (eh oui, l'auteur des Fraises Sauvages et du Septième Sceau !).
- L'Ecole de la Chair (1998), réalisé par Benoît Jacquot. Avec Isabelle Huppert, Vincent Martinez, Vincent Lindon, Marthe Keller, etc (très bonne distribution, donc ; mais Vincent Martinez n'est quand même pas le "mâle dans toute sa splendeur" du livre).
Bon film.
l'école de la chair
- Haru no yuki (2005), réalisé par Yukisada Isao.
- Rokumeikan (2008), téléfilm réalisé par Meiji Fujita.


Mishima a tourné dans les films suivants :
- Karakkaze yaro (1960), réalisé par Masumura Yasuzo (qui réalisera en 1972 Ongaku, d'après Mishima). Mishima tient ici le rôle principal. A noter que Musumura Yasuzo est également l'auteur de Môju (la Bête Aveugle) d'après Edogawa Ranpo, ce même Edogawa que Mishima a adapté au théâtre (Le Lézard Noir)
- Yukoku (1965) : voir plus haut.
- Kurotokage (1968) : voir plus haut.
- Hitokiri (1969), réalisé par Gosha Hideo.


Film sur Mishima :
- Mishima (1985), réalisé par Paul Schrader. Ogata Ken interprète Mishima. La musique est signée Philip Glass.

 

Ecoutons Mishima parler en français :

 

... et en anglais :


Lien en français:
- une page avec des photographies intéressantes, une notice biographique, analyse... : http://karila.free.fr/mishima.htm

 

Quelques photos :

1931
Mishima en 1931.


shinoyama
"Le martyre de saint Sébastien", photo de Shinoyama Kishin. Mishima parle de la découverte de l'iconographie de Saint Sébastien dans son livre Confession d'un masque (1949).

mishima   mishima  mishima
Le culte du corps, la mise en scène...

mishima
L'écrivain.

mishima et kawabata
Mishima et Kawabata.

funérailles
Les funérailles de Mishima. De droite à gauche : Kawabata ; la femme de Mishima, Yoko ; son père Azusa Hiraoka ; et sa mère, Shizue Hiraoka. (photo et information reprises du site http://www.canalblog.com/cf/fe/tb/?bid=58047&pid=1043429)

mishima
Sur la "scène de crime". Les têtes de Mishima et de Morita, son second, sont en bas à gauche. Time Magazine, 1970.

 

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