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Dag SOLSTAD

(Sandefjord, Norvège, 16/07/1941 - )

dag solstad


Dag Solstad a écrit des romans, des nouvelles, des essais, des pièces de théâtre.

"Solstad ressort comme un romancier très cérébral, et il a publié dès le début des articles et des essais qui commentent sa propre œuvre.

Dag Solstad débuta par un recueil de nouvelles Spiraler (Spirales) en 1965. On y croise des personnes qui sont marquées par l'aspiration à quelque chose qui leur soit propre, mais qui ressentent l'existence comme plus ou moins factice ou absurde. [...]
Dans le recueil de nouvelles Svingstol (Fauteuil tournant) daté de 1967, il a changé de position. Ici et dans l'article Tingene og verden (Les choses et le monde) (1967), il se fait l'avocat d'une écriture concrète où les choses ne servent plus de symbole d'un état spirituel intérieur : «Nous voulons laisser la cafetière être la cafetière et la regarder sur la table du petit déjeuner, dans sa blancheur d'aluminium, et remplie de café fumant» déclare-t-il dans le texte célèbre Vi vil ikke gi kaffekjelen vinger (Nous ne donnerons plus d'ailes à la cafetière).

En 1969 parut le roman Irr! Grønt! (Vert-de-gris ! Vert !). Ici, la problématique principale est le rapport entre l'identité et le rôle. Le personnage principal, Geir Brevik, abandonne la chasse au soi, et adopte le point de vue que l'individu est égal à la somme des rôles qu'il prend successivement. La liberté réside dans le fait d'être conscient du jeu de rôles. Ce thème est choisi également dans l'article Om nødvendigheten av å leve inautentisk (De la nécessité d'une vie inauthentique).
Dans les années 1974-1980 suivent quatre romans qui satisfont l'attente exprimée par le mouvement communiste que les auteurs écrivent pour le peuple et que la littérature servent les masses laborieuses. D'abord parut 25. septemberplassen (Place du 25 septembre), qui dépeint une famille de travailleurs sur deux générations dans la Norvège social-démocrate, de la libération en 1945 au référendum sur la CEE en 1972. Plus tard vint la trilogie de guerre Svik. Førkrigsår (Trahison. Avant la guerre), Krig. 1940 (Guerre. 1940) og Brød og våpen (Du pain et des armes), qui montre le conflit entre les communistes et les socialistes à travers une vaste galerie de portraits, à l'intérieur de la classe ouvrière norvégienne, avant, pendant et après la guerre. Tous ces romans sont des grands moments de la littérature historique réaliste du XXe siècle.

[...]
Dans ses romans des années 1990 se produit un changement narratif. L'intrigue extérieure décline, et se concentre sur une situation saturée de sens. Ellevte roman, bok atten (Onzième roman, livre dix-huit) tourne autour de la figure de Bjørn Hansen dans son fauteuil roulant, dans lequel il se laisse volontairement enchaîner après avoir fait croire à son entourage qu'il était devenu paralysé.
" (Wikipedia)

C'est à cette époque qu'appartient Honte et Dignité (Genanse og verdighet), livre "qui illustre que le lien social s'effiloche pour laisser le personnage principal comme étranger au monde. Hansen, Rukla, le professeur Andersen et T. Singer partagent le sentiment que la culture et la société déclinent, et que la marchandisation et l'uniformisation prennent le pouvoir, et qu'ils se retrouvent en dehors de leur temps. Au lieu d'essayer de combattre le déclin, ils se retirent en eux-mêmes et finissent par être des spectateurs de la réalité qui les entoure. En parallèle à cette thématique du retrait, le style narratif devient plus philosophique et se rapproche de l'essai." (Wikipedia)
Quoi qu'il en soit, "Solstad ne s'est jamais départi de sa figure archétypique : l'homme aliéné par la société dans laquelle il vit". (Honte et dignité, page 4).
Dag Solstad a remporté de très nombreux prix. Il est aussi un spécialiste du football.

"Avec Dag Solstad, il semble permis de dire que nous accédons à la très grande littérature." (Régis Boyer, Histoire des littératures scandinaves, Fayard).

honte et dignité

- Honte et Dignité (Genanse og verdighet, 1994, traduit du norvégien en 2008 par Jean-Baptiste Coursaud). Les Allusifs. 184 pages.
Le seul roman de l'auteur traduit en français.
Il commence ainsi, directement :
"En fait, c'était un professeur agrégé un soupçon soûlographe, dans la cinquantaine, pourvu d'une épouse à l'embonpoint un soupçon trop prononcé, et avec qui il prenait chaque matin son petit déjeuner. Cette matinée d'automne, un lundi, en octobre, ne faisait pas exception à la règle alors que, assis à la table du petit déjeuner, titillé par une légère céphalée, il ignorait encore qu'elle allait devenir la journée la plus décisive de sa vie. Aujourd'hui comme les autres jours, il avait veillé à revêtir une chemise d'une éblouissante propreté ; une vigilance qui avait un effet lénifiant sur le malaise dont il ne pouvait se départir et qui le faisait se sentir contraint et forcé de vivre à cette époque, dans ces conditions."
(page 9).
Nous sommes à Oslo, capitale de la Norvège (ainsi qu'il est souvent rappelé ; la répétition est la base de l'enseignement ; or, notre héros est enseignant...). Elias Rukla, professeur de littérature norvégienne, après avoir dit un "au revoir" un peu artificiel dans sa cordialité à sa femme (car jusqu'alors ils étaient tous deux bien moroses), se rend à pied au lycée où, depuis vingt-cinq ans, il enseigne la littérature norvégienne (il y a également enseigné l'histoire).

Ah, les cours où l'on dissèque Ibsen dans l'ennui le plus profond ! Nous sommes en plein dans l'étude du Canard sauvage. Notre professeur analyse l'importance d'un second rôle, le docteur Relling. Est-ce un personnage superflu ? Cela ne peut être le cas, sinon Ibsen l'aurait supprimé. Or, il est bien là... C'est donc qu'il doit avoir une utilité.
"Le docteur Relling est nécessaire à un endroit, un seul, et c'est vers la fin du dernier acte. Il demanda aux élèves de s'y reporter, ce qu'ils firent. Ils tournèrent les pages, certains rapidement, d'autres lentement, tous en tout cas baignés dans cette identique lumière somnolente qui emplit toujours une salle de classe d'une école norvégienne. Lui-même s'y reporta et lut la scène où l'on entend un coup de feu dans le grenier." (page 19).

Il est normal que les élèves s'ennuient : ce sont des êtres immatures ; les chef-d'oeuvres de la littérature norvégienne leur passent donc naturellement au-dessus de la tête. Néanmoins, notre professeur est payé par l'Etat pour les leur enseigner, ces chef-d'oeuvres de la littérature norvégienne.
"Il en avait toujours été ainsi, cela était inscrit dans le marbre de la nature de l'enseignement comme de l'objectif pédagogique ; oui, lui-même s'était ennuyé au lycée, pendant les heures de norvégien, à l'époque où il était élève, et à peine avait-il franchi le seuil d'une salle de classe, sept ans plus tard, en tant que professeur frais émoulu de l'université, qu'il avait spontanément reconnu le même ennui chez les élèves à qui il devait dorénavant enseigner ce que lui-même considérait comme ennuyeux à l'époque où il était élève et qui appartient, donc, aux conditions sine qua non pour quiconque est supposé recevoir pendant son adolescence des connaissances inhérentes à l'instructions générale et auxquelles celui ayant pour mission de dispenser lesdites connaissances doit strictement se tenir avec presque, oui, une alacrité analogue à celle qui l'avait animé, en tout cas durant ses quinze à vingt premières années de service au sein du lycée d'enseignement général. Oui, il s'était amusé de constater que son enseignement ennuyait les élèves, et il avait pensé : Eh oui, c'est la vie, c'est comme ça d'être professeur dans l'enseignement secondaire d'un pays civilisé, voilà, c'est comme ça et pas autrement." (pages 24-25).

Elias Rukla va continuer à analyser le rôle secondaire, mais néanmoins essentiel (ce qui apparaît dans un détail, et notre professeur sera à deux doigts d'une découverte), du docteur Relling. Son rôle consiste à commenter l'action et pas à y participer. De même que le professeur Elias Rukla qui analyse, commente, critique la société.
Il n'éprouve plus de plaisir à enseigner les chef-d'oeuvres de la littérature. Il éprouve même parfois de la répugnance pour certaines de ces oeuvres.
Mais il y a pire : les jeunes d'aujourd'hui ne sont plus comme ceux d'avant. Tout se dégrade.
"Car cette jeunesse en face de laquelle il était assis en ce moment même, en cette journée très précise, par un lundi pluvieux de début octobre, entre les quatre murs de cette salle de classe moite, au lycée de Fagerborg, dans la capitale de la Norvège, et qui s'ennuyait tandis qu'il débitait son commentaire de texte sur le drame de Henrik Ibsen intitulé Le Canard sauvage, elle s'ennuyait sur un mode radicalement différent des fois précédentes. Il ne reconnaissait pas l'ennui qu'il avait lui-même ressenti au cours de sa période lycéenne, pas une seule seconde, de même qu'il ne reconnaissait pas l'ennui qui s'était infusé dans les heures somnolentes passées avec Henrik Ibsen et qui avait plané sur les précédentes promotions d'élèves encore jusqu'à il y a quelques années de cela." (page 31).
Cet ennui n'est plus un ennui résigné (après tout, on peut se dire qu'un cours de littérature norvégienne, c'est très ennuyeux, en prendre son parti, et puis c'est tout), non : les élèves sont indignés. Alors même qu'ils sont élèves et qu'ils doivent donc s'ennuyer.
Il ne manquerait plus qu'ils prennent conscience de la force que, ensemble, ils représentent... Le professeur les craint un peu.

Et voilà que diverses petites choses vont amener notre professeur à péter un câble (il n'y a pas d'autres façons de le dire). Comme ça. Après tant d'années. Cela peut arriver à tout le monde, mais voilà, lui n'est pas tout le monde, et c'est bien le problème.

Après cette rupture, on en a fini (ouf) avec l'ennui de la classe et l'étude du Canard sauvage, la pièce d'Henrik Ibsen, chef-d'oeuvre de la littérature norvégienne, étudiée en long, en large et en travers entre les quatre murs de la classe de Fagerborg, dans la capitale de la Norvège. Et le lecteur va plonger dans le passé du professeur, revivre toute son histoire jusqu'à ce point très précis.
Le pivot de l'histoire est son amitié avec un étudiant en philosophie, Johan Corneliussen, extrêmement intelligent, ultra cultivé et touche à tout : à l'alcool, aux femmes, au sport et notamment au hockey ("Le hockey est au sport ce que le rock'n' roll est à la musique", page 65).
Ah, les bonnes cuites estudiantines ! Et les belles retransmissions sportives à la télé ! Voici une descente de ski. Les champions apparaissent à l'écran les uns après les autres, vêtus de combinaisons alpines, avant de s'élancer :
"Heini Messner, Autriche. Jean-Claude Killy, France. Franz Vogler, Allemagne de l'Ouest. Léo Lacroix, France. Martin Heidegger, Allemagne. Edmund Husserl, Autriche. Elias Canetti, Roumanie. Allen Ginsberg, USA. William Burrough, USA. Antonio Gramsci, Italie. Jean-Paul Sartre, France. Ludwig Wittgenstein, Autriche." (page 70).

Elias Rukla et son ami sont (surtout ce dernier), on l'a dit, deux esprits brillants. Ils sont cultivés, ils aiment discuter, échanger des idées, faire des allusions culturelles, sportives, artistiques, passer d'un sujet à l'autre.

Mais ils vont se trouver dans une impasse : l'avenir se révèle moins brillant qu'escompté, le temps passe, et tous deux se retrouvent spectateurs d'un monde qui a évolué sans eux, qui s'intéresse à des sujets qu'ils méprisent ou qui ne les intéresse pas.
Que faire ? Devenir tel le docteur Relling de la pièce d'Ibsen, un spectateur/commentateur, rarement impliqué mais parfois ému par le monde, finalement un être extérieur, qui ne trouve plus personne à qui parler (vraiment parler, pas échanger des nouvelles sur le temps ou l'état de santé de tel ou tel présentateur télé) ? Ou bien rompre avec ce mode de vie et participer à ce monde superficiel de marketing et de publicité, et faire de l'argent, même si on le méprise ?



Honte et dignité est un livre à la pâte parfois épaisse (il n'y a pas de dialogues, pas de chapitre, le texte est un gros bloc), aux phrases qui circonvolutionnent souvent, mais pas banal, avec de très bons passages mais d'autres disons peut-être un peu longs (on en a eu un aperçu, je crois ; ceci dit ces répétitions finissent par créer une sorte de musique), qui possède un vrai fond. Disons que ce n'est pas le livre à lire pour se distraire et rire un bon coup (même s'il y a une forme d'humour sinistre).
Dans la notice de Wikipedia, il est écrit que Dag Sostad est un auteur très cérébral, et on ne peut pas dire que ce soit faux.


A noter, tant qu'on est dans la littérature norvégienne, que pendant qu'il parle d'Ibsen, Elias Rukla pense aux "Quatre Grands" (auteurs nationaux norvégiens) : en plus d'Ibsen, on trouve Bjørnstjerne Bjørnson, Alaxander Kielland et Jonas Lie. Notre professeur remplacerait volontiers Lie (qui a un peu vieilli) par Arne Garborg.
Mais, au bout du compte, pour lui les "Quatre grands" qu'il préfère lire, c'est Henrik Ibsen, Knut Hamsun, Tarjei Vesaas et Agnar Mykle. (cf page 36).
Autant Ibsen, Hamsun et Vesaas sont bien connus et largement traduits chez nous, autant Mykle et Garborg sont quasi inconnus chez nous...



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